Hassan
A l’âge de 13 ans, tu as vu ton père et ta petite sœur tomber sous les balles des talibans. Menacé à ton tour, tu as pris le chemin de l’exil. Tu as traversé l’Iran, la Turquie, l’Allemagne, avant d’arriver à Paris.
Très vite, tu as obtenu le statut de réfugié. Tu es allé à l’école en province, loin de ta communauté. On t’a fait la promesse d’un retour à Paris, promesse non tenue qui t’a plongé dans un profond désarroi, lequel a nécessité une hospitalisation. Grâce au soutien de ta psychologue, tu es revenu à Paris. Tu as intégré un CAP menuiserie que tu as obtenu avec succès l’année dernière, juste avant de fêter tes 18 ans. Nous t’avons accueilli dans notre service de semi-autonomie. Tu allais de l’avant, avec le sourire. Toutefois, souvent tu te plaignais de maux de ventre que nous avions tendance à banaliser, nous disant “il veut attirer l’attention”. Nous oubliions facilement que tu avais grandi trop vite, que tu étais encore un enfant, un mineur non accompagné.
Le 15 août 2021, les talibans ont repris Kaboul. Nous rentrions de balade. Tu étais au téléphone. Nous t’avons vu pâlir. Tu parlais avec ta maman et ta sœur, réfugiées dans la capitale. En larmes, tu nous suppliais de les faire venir en France. Tu étais impuissant, nous l’étions aussi.
La sidération passée, tu as trouvé une alternance dans les travaux publics. Tu étais motivé. Seulement, un matin, sur le chantier, tu as ressenti une vive douleur dans le bas du dos. Une douleur qui s’est installée durablement. Tu as dû abandonner ta formation et tu as commencé à enchainer les consultations médicales. Scanners, IRM, échographies, bilans sanguins, autant d’examens qui n’ont rien montré d’anormal. Tu n’étais pas pour autant rassuré, et tu as changé de médecin, qui t’a prescrit les mêmes examens. Tu as mis un grigri sur ton bras, tu as bu de l’eau dans laquelle tu avais fait tremper des versets du Coran, tu as même réussi à obtenir une ordonnance d’un médecin au Pakistan.
Aujourd’hui encore, cette douleur est ancrée dans ton corps, et tu ne penses plus qu’à elle. Tu voudrais travailler, et tu cherches un métier dans lequel il n’y a pas de poids à soulever. Comment t’expliquer, Hassan, que depuis tes 13 ans, tu portes le poids de l’exil ? Que ce 15 août 2021 est venu raviver la douleur de la séparation sans doute définitive d’avec tes proches, et aussi la culpabilité d’être à l’abri…
“Notre corps ne ment jamais. Quand nous tombons malades […] c’est que nous sommes traversés par un conflit intérieur entre ce que nous ressentons et ce que nous voudrions ressentir” écrit Alice Miller.
Quand tu seras prêt à déposer ton lourd fardeau, Hassan, tu reprendras le chemin de la consultation transculturelle, et tu pourras alors t’inscrire à nouveau dans le présent.
Catherine