Jouer avec les langues
[Kosmopoli:t] : cette pépite de jeu de société, conçu par le Laboratoire Dynamique du Langage du CNRS, nous plonge dans l’univers de la diversité linguistique et culinaire. Initialement pensé pour les linguistes, il résulte d’une volonté de s’affranchir de l’entre soi intralinguistique et de s’ouvrir à l’altérité à travers une expérience immersive ludique et collaborative.
Dans « le restaurant le plus cosmopolite du monde », une équipe de joueurs se serre les coudes pour servir des plats du monde entier aux clients, qui commandent dans des langues peu connues ou minoritaires parlées sur les cinq continents. C’est également l’occasion de découvrir certaines langues régionales employées en France, un pays faussement considéré comme monolingue.
Lorsque le « coup de feu » est lancé, la partie commence. Le serveur ou la serveuse entend la première commande et doit transmettre au maître d’hôtel ce qu’il ou elle pense avoir compris. Le maître d’hôtel écrit alors le nom du plat sur un papier et la commande part en cuisine. Les cuistots s’affairent et essaient tous azimuts de reconnaître le nom du plat pour le servir au plus vite. Quand le nom de l’ingrédient est inconnu, le temps défile comme l’éclair ! Alors, que faire ? On hésite, on débat, on finit par se lancer, mais à quoi s’accroche-t-on pour tenter de comprendre, et à qui ? Au groupe bien-sûr. « Qu’est-ce que tu as entendu toi ? Répète un peu pour voir ! Attends, j’veux encore entendre ! Mais, taisez-vous j’entends rien ! Ah, voilà, ça ressemble à ça non ?! »
Qu’est-ce qui se joue ici, au-delà de l’amusement et des rires partagés ? La surprise d’apprendre qu’un mot dans une langue correspond à une périphrase dans une autre, comme « citron» en français, équivalant au « tajin’ isléman’ slaham dififl » en tachelhit, une langue parlée au sud du Maroc, ici écrite selon une translittération phonétique basée sur l’orthographe française. L’angoisse aussi est de la partie, lorsqu’on ne comprend pas ce que l’autre demande et lorsqu’on ne parvient pas à retranscrire ce qu’on entend. L’excitation et la curiosité ont tout autant leur place dans cette quête de sens ludique et collective, ainsi que l’impuissance et la fatigue… Ensemble, nous savourons de nouvelles langues, nous nous délectons de sons inédits. La force de l’individu se mêle à celle du groupe et ce sont des stratégies de compréhension à toutes les sauces qui s’inventent au fil des échanges, des découvertes et des déconvenues. « Alors, on rejoue une partie ? »
[Kosmopoli:t] nous familiarise avec des enjeux sociétaux et politiques qui dépassent largement ceux du jeu, notamment la nécessité de défendre la diversité linguistique. La disparition d’une langue n’est pas seulement la perte d’un moyen de communication mais celle de l’histoire d’un peuple et de sa culture. En jouant à [Kosmopoli:t], nous affirmons notre refus de hiérarchiser les langues et notre volonté de mettre en lumière leur incroyable et nécessaire pluralité, chacune d’elles donnant à voir une façon particulière de se représenter le monde. La métaphore du restaurant nous rappelle qu’il s’agit avant tout de se nourrir mutuellement de la diversité, afin de penser une ouverture à l’autre conviviale et transculturelle.
Léa