Douceurs d’enfance au goût amer
La pensée raciste n’est pas l’apanage des discours politiques. Elle s’immisce, l’air de rien, dans le théâtre de notre quotidien. C’est ainsi qu’elle devient ordinaire, banale et presque « normale » si l’on n’y prend pas garde. Des soubassements racistes sont par exemple présents dans le langage courant, au travers d’expressions de plus en plus remises en cause mais pourtant toujours ancrées dans les esprits. La pensée raciste s’invite dans les « blagues » des dîners de famille et va jusqu’à s’infiltrer dans nos assiettes, en particulier au moment du goûter. Elle s’invite sur les étales des boulangeries, trône dans les rayons des supermarchés et s’affiche sur les publicités. On pense bien-sûr à la « tête de nègre » qui désignait autrefois un dessert au chocolat et à la meringue, ou à la marque Banania qui outrageait Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs.
Que des efforts ont été fournis pour analyser, reconnaître et déconstruire des années de pensées colonialistes, esclavagistes, et dominatrices. Chassez le naturel, il revient au galop ! Dans leur documentaire Le village bamboula, Yoann de Montgrand et François Tchernia dénoncent les effets délétères et traumatiques d’une « migration organisée » de 25 enfants, femmes et hommes ivoiriens destinés à habiter un soit-disant village dont la vocation était de montrer les us et coutumes de la Côte d’Ivoire. Il s’agissait tout bonnement d’un zoo humain… en 1994. A l’entrée du parc, trônait « Bamboula », un personnage noir, vêtu d’une peau de bête dont le nom et l’image figuraient sur les paquets de biscuits Saint Michel.
En 2022, quelques semaines après la diffusion du documentaire, je remarque un paquet de gâteaux de la même marque, qui s’est invité à la table des instituteurs de l’école primaire dans laquelle je travaille. Le biscuit a désormais une forme d’instrument de percussion africain et porte le nom de « tam tam ». Le chocolat n’est plus ouvertement associé à une couleur de peau, mais les ressorts d’une certaine pensée raciste n’en sont pas moins retors et toujours actifs dans l’imaginaire entretenu par la marque…
D’aucuns diront que le racisme doit se combattre ailleurs et qu’il ne faudrait pas se perdre dans les dérives d’une pensée tatillonne. Je répondrais qu’il ne faut pas non plus être dupe du lissage des discours et des images, lequel ne témoigne pas d’une déconstruction de la pensée raciste mais d’un procédé pernicieux l’entretenant avec certes plus de discrétion qu’auparavant. Prenons garde aux façades et aux trompe-l’œil qui détournent l’attention mais continuent de véhiculer des préjugés encore profondément ancrés dans les représentations collectives. Gardons nos yeux, nos oreilles et nos papilles aux aguets.
Léa