Les retrouvailles
A chaque vacances, à chaque absences prolongées, ce sont les mêmes mots que j’entends : « Mélissa, reviens vite… ».
Un service dit de semi-autonomie, trente jeunes garçons, adolescents, mineurs ou majeurs non accompagnés, deux éducatrices. Voilà le décor planté.
Des démarches, plus importantes les unes que les autres, des liens qui se renforcent, avec le temps et à travers les épreuves, individuelles ou collectives. Voilà l’intrigue esquissée.
Des adolescents éloignés de leur monde et de leurs repères : famille, pays, amis, culture et bien davantage. Voilà les personnages.
A l’école du travail social, on nous enseigne la « juste distance ». Mais quelle est-elle ? Peut-on la réduire à une seule définition, une pratique universalisable ? Ne peut-on pas au contraire la bousculer ?
Mohamed, est le premier à venir me voir lorsque je reviens d’une longue absence. Systématiquement, on se sert dans les bras. Ce sont nos retrouvailles.
« Tu es revenue ». A l’écoute de ces quelques mots, je perçois une crainte, peut-être une peur de perdre, encore. Notre accolade arrive alors au bon moment pour apaiser ce surgissement de l’angoisse.
Quelle serait une « juste distance » dans le contexte de ces retrouvailles ? Je souhaite qu’elles soient avant tout signifiantes pour Mohamed, et pour moi. Qu’elles puissent être partagées sans honte et sans crainte, avec bienveillance, respect et joie.
Mohamed m’avait confié qu’en Côte d’Ivoire, dans son village, les retrouvailles donnent lieu à des accolades semblables, quand la famille et les proches reviennent d’un voyage, d’une absence plus ou moins prolongée.
Ainsi, en nous prenant dans les bras lors de nos retrouvailles, Mohamed peut également se réinscrire dans les liens affectifs de son village et dans sa culture.
Mohamed, comme d’autres jeunes que nous accompagnons, à travers des façons bien particulières de dire bonjour et au revoir, de se séparer et de se retrouver, partagent avec nous des transmissions culturelles.
La juste distance ne serait-elle pas justement celle qui permet de s’ouvrir davantage et d’accueillir l’altérité, de permettre la découverte et la rencontre des pratiques et des cultures de chacun ?
Mohamed a provoqué en moi un décentrage, une prise de conscience. Ses pratiques et ses conceptions en ce qui concerne la juste distance à l’autre ont coexisté et se sont métissées avec les miennes.
Mélissa
Photo de Jurien Huggins sur Unsplach.jpeg