Rejoindre les siens

Venue en France, pays de la dernière chance.
Grâce est grande et très maigre, épuisée par je la cite « une maladie qui ne veut pas la quitter ». Son frère a payé pour que « les médecins français puissent l’aider », la sauver. Au Burundi, ils ont déjà tout essayé.
Grâce parle de la mort en la personnifiant, dans sa bouche, elle devient un être à part entière. La mort est là, avec elle. Il y a la crainte, la peur, se sentir à sa merci avec l’impossibilité de la fuir aujourd’hui comme hier. D’ailleurs, elle m’explique que dans sa culture la mort est omniprésente, partout et « gourmande », certains noms lui sont d’ailleurs donnés pour ne pas l’oublier. Des noms comme Rurihafi ou Runkikije signifient la mort. “Elle est près de moi, la mort m’entoure” me dit-elle. En effet, dans la culture Burundaise, la mort a toujours donné lieu à des rituels pour la nommer, une manière de se situer face à des entités : la mort, Imana, et les autres êtres humains. Cette nomination permet la mise à distance ou au contraire l’appartenance, elle permet de se situer par rapport aux entités qui la constitue.
Cette tentative de soins en France ne lui appartient pas, c’est son grand frère qui vit au Canada depuis longtemps qui a tout organisé. Pour lui, la mort résonne différemment. Autour de son cou, une amulette avec des plantes, elle me semble bien peu de chose. Ce voyage ne sera pas celui de la guérison espérée par ce frère qui nous appelle quotidiennement.
La maladie s’est répandue, elle a trop attendu et même si…, les médecins français n’y pourront rien.
Grâce ne peut, ni ne veut, être soulagée médicalement pour affronter la fin. Loin des siens sa douleur est indicible. A l’hôpital et sur le centre d’hébergement, tout le personnel accompagne son désir de rejoindre son pays et d’adresser ses derniers sourires aux siens.
Ici à l’hôpital, la mort est difficilement nommée voire “nommable”. Cet être, présent jusque dans le cœur du foyer des Burandais, est à l’hôpital un concept – parfois un tabou – que l’on souhaite pouvoir expliquer concrètement. Nullement un être supérieur, privé de toute pitié, qui déciderait du « qui » et du « quand », Ntirugirimbabazi, la mort n’a pas de pitié.
A chaque fois que Grâce parlait de la mort, comme d’une personne près d’elle, qui pouvait attendre son retour au pays pour l’emmener, je l’écoutais, et inscrivais ces propos du côté d’une certaine croyance et de la peur de la mort. Aujourd’hui il me semble que je n’étais pas en capacité d’envisager ces paroles comme une vision du monde et de soi par rapport au monde faisant sens différemment, je voulais mettre du connu sur de l’inconnu.
Ce qui aurait pu me faire penser que Grâce envisageait la mort comme une vieille amie serait plutôt à comprendre du côté de la connaissance, l’acceptation de sa propre vulnérabilité vis-à-vis d’elle, car, Ntiruhunga, la mort est partout.
Grâce a finalement pu rentrer au Burundi, son frère nous a prévenu qu’il partait la rejoindre.
Marjorie