Un peu perdu
Depuis plusieurs années, en tant que bibliothécaire, j’organise un groupe de parole de femmes, au sein duquel nous découvrons et construisons toutes ensemble de multiples passages entre les cultures.
Il y a quelques temps, plusieurs mamans m’ont posé la question : « Mais finalement, qu’est ce que l’on transmet de nos cultures maternelles à nos enfants ? ». Nous racontons alors les histoires de nos enfances, nous lisons des livres du monde entier dans plusieurs langues, et nous retrouvons des berceuses de différents pays, chantées dans nos familles.
Parallèlement, le projet “Premières Pages” offre un livre à chaque enfant né ou adopté en 2022, le livre choisi est Un peu perdu de Chris Haughton. Nous remarquons que beaucoup de parents ne parlent pas ou peu le français, ou tout simplement ont une autre langue maternelle. Nous décidons alors de permettre à ces parents de transmettre le plaisir de cette lecture dans leur langue, et c’est ainsi qu’est né le projet “Un peu perdu autour du monde”.
Nelya traduit l’album en kabyle. « C’est ma langue maternelle et c’est en kabyle que j’ai toujours raconté les histoires à mes enfants. C’est une belle histoire qui parle de la séparation et des retrouvailles. Une maman est toujours là pour ses petits.» explique-t-elle.
Betina vient du Brésil. « J’ai un petit garçon de 3 ans. Je parle le portugais, je lui chante des chansons dans ma langue mais là, pouvoir lui lire ce livre en portugais, cela va être génial ! » s’enthousiasme-t-elle.
Jocelyne quant à elle précise : « Je parle le créole, mais attention, le créole de la Martinique ! Ce n’est pas tout à fait pareil ! Il y a des mots et des prononciations différentes du créole guadeloupéen ! »
Elikia traduit le livre en lingala, Chantal, née au Luxembourg, en allemand.
Nous allons ensuite dans un studio d’enregistrement et là… la magie opère ! Chacune pose sa voix comme une professionnelle, et raconte cette histoire dans sa langue. C’est un moment très émouvant, nous découvrons la beauté de chaque langue et celle de leur diversité. De longs échanges s’ensuivent sur les émotions provoquées par cette mise en contact des langues, et sur le plaisir de partager et de transmettre.
De cette expérience, les mamans ressortent très fières et émues d’avoir pu mobiliser leur langue maternelle, liée à leur intimité et leur histoire, pour en faire cadeau à d’autres parents. Ce livre a été pour elles un trait d’union entre leur enfance et leurs enfants, ainsi qu’un lien fort entre les cultures : culture maternelle et culture du pays d’accueil. Chacune a raconté un peu de son enfance, de son pays, de sa langue, pour permettre à d’autres parents de transmettre à leur tour.
Aline
– Les mots de Eve –
D’une fête de Noël à un mariage marocain
Pour préparer Noël à l’Hôpital de Jour, Sarah a une idée. Elle propose de réaliser de petites sucreries pour accompagner le thé ou le café à la fin du repas. Elle nous explique qu’elle en a très souvent fait quand elle était petite à Noël avec ses parents. L’idée me séduit, plaît aussi à deux patients et un groupe se forme. Pour les courses elle nous dit « c’est simple, il n’y a besoin que de deux ingrédients, des dattes et de la pâte d’amande » : parfait !
Le matin de la fête, les espaces de cuisine sont investis par différents groupes qui s’affairent à la préparation de boissons, apéritifs et autres mets festifs. Nous nous retrouvons donc dans un atelier de travail, à dénoyauter les dattes, couper la pâte d’amande et façonner nos petites sucreries tous les quatre. Mais rapidement, de nouvelles personnes, curieuses, nous voient et nous rejoignent. C’est le cas de Mohamed qui lance : « C’est des dattes fourrées à la pâte d’amande ? Qui c’est qui se marie ? C’est une pâtisserie pour les mariages ! ». Sarah, étonnée, lui répond : « Ah bon ? Moi j’ai toujours fait ça à Noël ». « Si si on fait ça au bled pour les mariages ! ». Mohamed est très content de nous voir préparer ces fameuses pâtisseries. Les bruits de couloir fonctionnant parfaitement, patients et soignants notamment d’origine arabe arrivent afin de voir par eux-mêmes ce qu’il se passe dans notre groupe et finissent par prendre part à la préparation.
« – Chez moi on fait comme ça », « – Tu mets trop de pâte d’amande ! – C’est normal, c’est pour moi celui-là », « – Moi j’ai toujours préféré les dattes natures, d’ailleurs si vous pouvez m’en mettre quelques-unes de côté… », « – On se croirait au bled », « – Il faut qu’on trouve qui va se marier! ». S’ensuivent des propositions de couples potentiels, des rires, du brouhaha : un moment convivial, pris entre traditions de Noël et mariage marocain.
Durant cet instant, il m’a semblé que nous étions et en France à Noël et au Maroc à la préparation d’un mariage. Tant dans l’évocation de souvenirs personnels que dans cette réalisation commune, nous partagions quelque chose d’authentique. D’ailleurs, alors que j’exprimais mon mécontentement sur l’aspect de l’une de mes dattes, je dis « Ah là là » et Mohamed me fit remarquer que ça y était, je parlais désormais arabe.
Eve