Adel
Adel,
C’est avec une émotion particulière que je t’adresse ces quelques mots. Ce 2 juin 2022 restera, dans notre mémoire à tous les deux, une date à la saveur inestimable.
Nous sommes à la préfecture de police de Paris. Ma fébrilité est égale à la tienne, et je souris lorsque je repense aux documents qui s’échappent de mes mains tremblantes. Car ton avenir en France se joue dans les minutes que nous passons au guichet.
Cela fait maintenant trois ans que nous nous connaissons, Adel. Après de longs mois d’hébergement dans un hôtel, nous t’avons accueilli au sein de notre service de semi-autonomie. Tu as 18 ans et le sourire contagieux. Je suis ta référente socio-éducative. D’emblée, tu te saisis de mon accompagnement avec avidité. Tu n’as pas de papiers, tout juste un acte de naissance. Tu es sans affectation scolaire, et tu es en délicatesse avec la justice. Il se dégage de toi une énergie solaire et un courage incroyable. Pourtant, les obstacles qui ont jalonné ces trois années auraient eu raison de beaucoup d’entre nous.
Tu es parti d’Algérie car tu rêvais d’un avenir meilleur. A Paris, tu as de mauvaises fréquentations, et tu commets des délits de subsistance. Puis tu es agressé à l’arme blanche, ton visage est lacéré, tu es traumatisé. Mais tu avances, pas à pas, avec la volonté de t’en sortir chevillée au corps. Et nous nous entraînons mutuellement, Adel. Je crois tellement en ton honnêteté, en ton humanité, qu’en dépit des difficultés qui s’amoncellent, mon énergie combative se décuple. Nous remportons quelques victoires.
Malgré tout, l’horizon s’assombrit. Ta régularisation semble impossible. Ton acte de naissance est invalide car périmé. Ton père est tellement en colère contre toi qu’il refuse de t’aider. Alors le couperet finit par tomber. Sans régularisation et sans possibilité de t’inscrire dans un projet socio-professionnel, tes jours au sein de notre service sont comptés. La voix étranglée par les sanglots, tu me dis “je suis fatigué moralement Catherine, tout ça pour revenir à la case départ”.
C’est alors que, contre toute attente, tu reçois une convocation à la préfecture pour retirer un titre de séjour. Un an déjà que j’ai déposé la demande, un an que j’échange des mails avec l’instructrice, lui expliquant la difficulté d’obtenir les documents nécessaires. Ta bonne fée, Adel, elle est derrière l’écran de l’ordinateur. Elle remet de l’espoir là où il semblait perdu. Alors, tu te remobilises avec force. A la faveur d’une absence professionnelle de ton père, ta mère est libre de ses mouvements, et peut te faire parvenir les justificatifs d’identité, quelques jours avant le rendez-vous.
2 juin 2022, guichet 7. L’attente semble interminable. Et le miracle se produit, Adel. Tu obtiens un titre de séjour pour un an. Le champ des possibles s’ouvre à nouveau devant toi.
Alors, sois heureux jeune homme.
Catherine