Avec la difficulté : la facilité إِنَّ مَعَ الْعُسْرِ يُسْرًا
Je me souviens de son regard vif et perçant, de ses cheveux longs ébouriffés, mais aussi de son visage au teint gris, comme celui de sa mère.
Tayseer montre son étonnement lorsqu’elle entend mes premiers mots en arabe. Elle cesse de jeter les poupées et de vider tous les contenants de l’espace de séance où nous allons nous retrouver chaque semaine. Elle est alors âgée de 5 ans. Avant notre rencontre, ses différents thérapeutes n’ont jamais pu travailler avec sa maman, qui s’est toujours montrée évitante, invoquant diverses raisons quant aux aux 8h30 8h30 autres autres 8à ses indisponibilités. Les médecins ont posé l’indication d’un accompagnement psycho-éducatif avec moi, en langue arabe, pour Tayseer et sa mère, au cours de la dernière année de suivi dans l’institution.
Madame Z., la maman, dit être contente de me rencontrer puis se met à pleurer. A mesure que je lui parle dans sa langue, son visage se colore. Madame Z. s’anime, la langue arabe l’apaise et la rassure.
Lors d’une séance, elle me confie avoir éprouvé de nombreux deuils périnataux avant la venue au monde de Tayseer. Un autre jour, elle fait des liens entre ces effroyables événements et les étapes de sa migration. Elle sort soudain une photo de son sac, celle du visage de Tayseer, prise par le père en salle de naissance. Personne, durant sa grossesse, ne lui avait dit que cet enfant serait porteur de trisomie 21. Une sorte de flash nous éblouit toutes les deux. Peut-être figure-t-il l’impact du trauma survenu à la présentation de son bébé ? Le même malaise nous saisit toutes les deux. Tayseer s’effondre puis court dans les bras de sa mère qui la berce tout en récitant un verset d’une sourate du Coran que je reconnais. « إِنَّ مَعَ الْعُسْرِ يُسْرًا » (« inna maal yosril yosra »), que l’on peut traduire ainsi : « Vraiment avec la difficulté : une facilité !
Au fil de nos rencontres, cette maman prend conscience que sa tristesse est antérieure à la naissance de Tayseer. Après avoir fait le récit des pertes endurées, elle compare sa fille à un « cadeau d’Allah », une « facilité », après tant de « malheurs ». C’est pour cette raison qu’elle retient le mot « facilité » afin de prénommer cette enfant, venue au monde pour effacer toutes ses peines.
Pendant ce temps, Tayseer joue tranquillement avec des poupons qu’elle installe sur des couvertures, contre la porte de l’espace de séance.
Les mois passent et la petite fille se métamorphose. Son apparence est soignée, ses cheveux tressés. Alors qu’un dossier d’orientation en institution spécialisée est lancé, Tayseer entre au CP.
Parler dans sa langue me permet d’entrer dans le monde intérieur de Madame Z, dans l’intimité de ses représentations et de sa vie émotionnelle. Le nouveau cadre de soin proposé à Madame lui offre l’opportunité de penser l’expérience qu’elle vit ainsi que les moyens de la transformer. Mère et fille y expérimentent des contacts, des jeux, des moments de tension et d’apaisement qui revitalisent leur lien au sein d’une enveloppe transculturelle tissée par notre relation thérapeutique, où le passage entre les langues facilite celui d’un monde à l’autre.
Hania