Les langues maternelles
C’était ma première expérience d’éducatrice de jeunes enfants. Je travaillais au sein d’un Centre Social où était présente une grande diversité culturelle. C’est dans ce contexte que j’ai découvert l’association Dulala (D’une langue à l’autre) qui œuvre pour promouvoir le plurilinguisme et valoriser les langues maternelles. Dulala nous proposait des sessions pour présenter sa fameuse “Boîte à Histoires” en différentes langues.
Ce jour-là, nous accueillons une conteuse en langue arabe. Nous entrons dans la salle et nous nous installons sur les canapés à disposition. Sur la table devant nous, une boite fermée. Qu’est-ce qu’elle peut bien contenir ?
Leila, âgée de 2 ans, semble un peu intimidée. Elle s’installe sur les genoux d’une collègue. Les enfants attendent, puis écoutent attentivement, curieux et intrigués par cette boîte.
La conteuse prolonge la magie du moment. 1, 2, 3, soufflons ensemble dessus pour qu’elle s’ouvre…
Lorsqu’elle prononce les premiers mots en langue arabe, je vois le visage de Leila s’illuminer. Elle tourne la tête vers moi et sourit, les yeux grands ouverts. Entendre cette langue familière et familiale ici est pour elle à la fois une surprise et une fierté. D’autres personnes que les membres de sa famille peuvent donc la parler, la comprendre et la partager ! Elle n’est pas seule. La magie des langues pour Leila opère.
Les langues maternelles portent les enfants, affectivement et socialement. Entrer dans une langue, c’est entrer dans un monde de cultures, de pensées et d’émotions. Parler à un enfant dans sa langue maternelle, c’est lui permettre de se reconnaître avec ses semblables, et d’appartenir à une communauté qui l’aide à penser par lui-même.
J’ai grandi pour ma part entre une mère professeure de français langue étrangère, qui avait le défaut professionnel de systématiquement corriger nos erreurs de syntaxe, et un père qui, bien que mélangeant sans cesse le féminin et le masculin, tenait à nous parler en français, probablement par volonté d’intégration. Pourtant, la langue persane existait bel et bien autour de moi. Je l’entendais dans les conversations téléphoniques de mon père avec sa famille, dans les comptines qu’on me chantait, dans les musiques de Googoosh ou de Moein… C’était comme si je baignais dans une culture, mais sans avoir tous les outils pour la comprendre et l’exprimer.
J’ai souvent eu le sentiment de ne pas pouvoir me rapprocher de ma famille parce que je ne parlais pas la langue persane, une langue d’amour mais qui me faisait me sentir exclue, comme si j’en étais réduite à une “demi-culture”.
Valoriser les langues maternelles des parents, c’est permettre aux enfants de grandir sereins, dans un monde qui les accepte pleinement, et de les inviter à cheminer entre les mondes afin de construire créativement leur métissage.