Les souvenirs
Un périple de plusieurs semaines, mois, années. Divers pays traversés. Des moyens de transports aussi différents les uns que les autres. Mamadou a pour valise sa culture, ses valeurs, sa religion, ses souvenirs, sa langue et son acte de naissance. Il a emporté le strict minimum, tout ce qui lui sera utile mais ne l’encombrera pas pendant son parcours, le plus important à ses yeux.
A mon grand étonnement, aucune photo n’est présente dans ses affaires. Le seul objet physique est cet acte de naissance, qui sera effectivement nécessaire sur le territoire français, afin de prouver son âge, son identité, et obtenir une protection. Il lui sera pris par les administrations, pour besoin de vérification, diront-ils…
Il n’a désormais plus rien de palpable à garder auprès de lui… Il a de nouveau perdu un bout de soi.
Mamadou a bientôt 17 ans, je voulais célébrer cet âge en partageant avec lui deux objets, qui ont de l’importance à mes yeux, dans ma vie, et qui pourraient peut-être en avoir également pour lui. D’abord une carte d’anniversaire, avec écrit, de ma main, tout le meilleur que je lui souhaite, ainsi qu’un cadre avec la photo de sa maman. Il me l’avait montrée sur son téléphone et envoyée plusieurs mois auparavant. Il me dit qu’il lira la carte plus tard, dans l’intimité, et qu’il la mettra sous son oreiller. Il ouvre ensuite l’emballage du cadre et son regard croise celui de sa maman. Ses yeux deviennent brillants de larmes. La photographie sera dès lors fièrement posée sur sa table de chevet, auprès de lui chaque soir.
Mamadou n’est pas le seul jeune à n’avoir amené que l’essentiel, ou à avoir tout perdu pendant le parcours migratoire qui l’amène jusqu’ici, devant moi.
Les souvenirs restent dans les cœurs et dans les têtes. Les souvenirs continuent de se construire, immortalisés par les smartphones. Ce sont ces derniers d’ailleurs, qui m’ont donné l’idée d’un atelier photos, afin de permettre à ceux qui le souhaitent de rendre plus tangibles les souvenirs, en les transformant en photos imprimées.
Un album et un cadre sont mis à la disposition de chaque participant à l’atelier. Le cadre sera peut-être accroché, posé ou rangé dans des affaires. L’album pourra être conservé, feuilleté à l’occasion, permettant de voir, revoir et toucher des images chargées de symbolisme, de manipuler à l’envi un objet constitué de visages, de recettes, de cartes reçues, de textes : un album partagé, montré ou gardé secrètement.
Le plus important est de rendre accessible à tous la possibilité d’incarner un souvenir dans un objet physique, qui peut nous faire rêver et nous transporter à tout moment. Et peut-être grâce à lui, redécouvrir des souvenirs perdus…
Grâce à cet atelier, j’ai la chance d’entrevoir le village malien de Biya, de rire avec Bakary sur la couleur atypique de sa mule, d’observer la frimousse d’Hamele, de connaître la recette du tiep cuisinée par les sœurs de Demba, de redécouvrir les photos prises au pieds de Tour Eiffel lors d’une sortie avec Waly… Ils découvriront quant à eux Takéo, mon chat tigré, ainsi que ma recette préférée de pâtes au poulet. Ensemble, nous voyageons à travers les souvenirs…
Mélissa