Tchiiiip
Enseignante en lycée professionnel, j’ai souvent été agacée par un bruit de bouche que font très régulièrement mes élèves – et j’insiste sur le “très” – le tchip ! Toute situation se prête au tchip, véritable réflexe ou signe de ponctuation.
Avec le recul, je pense que ce qui m’irritait, c’était l’impression que ce tchip m’était adressé, ce qui venait heurter mon autorité et ma place d’enseignante. Par la suite, j’ai d’ailleurs découvert que le tchip avait été l’objet de plusieurs articles de presse suite à son interdiction dans certains établissements scolaires.
En m’intéressant de plus près à cette onomatopée, j’ai découvert que cet élément de communication non verbale était partagé par la plupart des cultures noires, qu’elles soient africaines, caribéennes ou noires-américaines. Ainsi, aux USA, on dira “to suck teeth”, “to kiss teeth” en Jamaïque, “suruntu” en bambara et “tchouro” au Burkina Faso.
Le tchip est une pratique métalinguistique, dans le sens où il ne s’agit pas uniquement d’un son, mais aussi d’une attitude impliquant l’expression corporelle et faciale. Le sens du tchip dépend donc de la manière dont la personne va tchiper, le contexte est déterminant pour lui donner une signification. Il faut être attentif à la longueur du tchip et à l’attitude de la personne. Ainsi, le tchip court et sec équivaudrait à un “arrête de dire des bêtises !” alors qu’un long tchip accompagné d’un regard méprisant parlera de lui-même.
Si à l’origine le tchip était supposé décrire une attitude de mépris et de contrariété, son sens a évolué au fil du temps. Ainsi, le tchip peut également constituer une marque d’affection ou une manifestation d’amusement.
En revanche, le tchip répond à des codes et des règles à respecter si l’on ne veut pas se retrouver dans une mauvaise situation. En tout premier lieu, on ne tchipe jamais ses parents, ses aînés, son patron, ni ses enseignants. On peut tchiper les personnes de sa génération ou s’auto-tchiper, ce que font souvent mes élèves… En effet, le tchip n’est pas forcément adressé à quelqu’un. Il peut prendre la forme d’un commentaire réprobateur ou d’agacement sans destinataire particulier. Son interprétation est finalement plus complexe qu’elle en a l’air !
Certains le revendiquent même comme constitutif de leur identité. On a pu voir d’ailleurs, lors d’une interview où Christiane Taubira était interrogée sur son ressenti vis-à-vis des remarques racistes dont elle était victime, notamment de la part du Rassemblement National, répondre que ce qui lui venait spontanément à l’esprit comme réponse en tant que femme créole, c’était le tchip !
Aujourd’hui, il semblerait que cet élément de communication non verbale se soit répandu largement au-delà de la communauté afro-caribéenne et ait trouvé sa place plus largement au sein de la jeunesse française, qui tchipe allègrement comme pour revendiquer son identité métissée.
Anissa