Deux chercheurs ont récemment apporté des éléments utiles pour tenter de comprendre ce qui se passe en Israël, à Gaza, en Cisjordanie.
L’historien Jean-Pierre Filiu met le conflit en perspective dans le temps long et analyse notamment le sionisme chrétien, un mouvement évangélique états-uniens très important qui considère que « les prophéties ne pourront s’accomplir qu’avec le retour du peuple juif sur sa terre d’Israël. Le salut individuel et collectif (…) passe donc par la réussite de ce projet, dans lequel ils ne peuvent pas participer directement, puisque c’est aux Juifs d’accomplir le destin qui leur a été assigné par le Très-Haut. Pour ces sionistes chrétiens, il faut que la Terre Sainte reste indivisible. Ils sont donc complètement opposés à tout processus de paix. Les vrais fauteurs de guerre, les vrais faucons, ce sont eux. (…) Cette vision évangélique du retour a nourri, dès 1917, la déclaration Balfour de soutien britannique au projet sioniste en Palestine.
Ces croyants sont convaincus que leur salut, le fait qu’ils iront au paradis ou en enfer, dépend du refus de toute concession territoriale. Et c’est pour les satisfaire que Trump a déplacé en 2018 l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem ». (Entretien à Libération, 9 février 2024).
Hugo Micheron, chercheur en sciences politiques, situe les mouvements radicaux religieux dans le phénomène millénariste, très souvent porteur d’une grande violence. « Ce sont des mouvements apocalyptiques, qui croient en évènement décisif pour l’humanité. Ceux qui ont compris et se préparent vont être sauvés, et les autres vont être damnés. Les millénaristes attendent un sauveur, un messie, un groupe d’élus, puis un âge d’or futur, un nouveau monde » (Entretien avec Antoine Garapon, France Culture, le 19 février 2024).
On retrouve ce type de croyances absolues chez Daesh, mais aussi chez les évangélistes radicaux, (électeurs de Trump et Bolsonaro), dans le mouvement complotiste états-uniens QAnon (à l’œuvre dans l’assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021) chez les mouvements juifs orthodoxes radicaux, dans les discours de Poutine. Il y a eu de grands cycles millénaristes en parallèle des révolution technologiques : les guerres de religion surgissent après que l’imprimerie ait fait perdre le contrôle de l’église sur les textes religieux et leurs commentaires (Desroches 1969, Crouzet 2005, Crouzet et Le Gall 2015), les mouvements totalitaires nazi et bolchevique apparaissent au décours de la révolution industrielle, et, selon Micheron, on peut faire l’hypothèse que nous sommes dans un cycle lié à la révolution numérique et aux réseaux sociaux hors de contrôle. Ces mouvements n’ont jamais définitivement vaincu, jusqu’ici tout au moins, mais ont pu commettre d’immenses destructions.
Daniel Delanoë.