Les objets qui racontent
Chez ma grand-mère, j’ai toujours vu une chaufferette en bois, un « petou » comme on l’appelle dans ma famille, en gallo. Entre le tiroir et le marchepied, percé de trous, il nous servait à nous asseoir près de la cheminée. Je n’ai appris que plus tard son utilité première, son histoire d’avant moi, qui était de récupérer les braises pour se réchauffer les pieds. De cette histoire, partagée aux élèves de mon école, est né un projet : réaliser un catalogue d’objets qui raconteraient leur histoire et celle de leur famille. Une centaine d’élèves ont embarqué dans cette aventure. De la spontanéité des uns, qui « savent » immédiatement ce qu’ils vont présenter, au stress des autres, qui n’ont aucune idée de ce qu’il « faut » apporter, jusqu’à la résistance des derniers « qui n’ont rien » chez eux, il faut gérer les émotions que procure cette demande : livrer quelque chose de soi et de sa culture.
Il y aura des clichés de mariage, comme celui de Sacha, une photo de ses arrière-grands-parents, dont il ne sait pas grand-chose, si ce n’est le lieu où elle a été prise, la Sicile. Sa maman confirme, elle aussi, n’en savoir que bien peu de choses. Elle a rompu les liens avec sa famille, qui aurait pu donner des explications. Pourtant, après cet échange, Sacha m’informe que sa mère a envoyé un mail… pour savoir. Alors Sacha pourra découvrir et nous raconter l’histoire de sa famille sicilienne, du voyage migratoire de la Tunisie à l’Algérie, avant de s’installer en France. Il mêlera, avec un plaisir certain, la petite et la grande histoire, en intégrant sa diaspora familiale aux grands mouvements migratoires du siècle dernier.
Il y aura des objets cultuels, parfois transmis par les générations précédentes, des objets de cuisine ou de soins, des instruments de musique, des costumes et des bijoux. Kadi et sa maman raconterons l’histoire d’un bracelet en argent, qui pèse autant que les premiers cheveux coupés des enfants, selon la tradition, tandis que Sara décrira le « tazolt » de sa maman, un flacon de maquillage transmis par sa mamie pour son mariage.
Certains choisiront des objets personnels liés à de grandes occasions et des moments importants de l’existence, comme le caftan offert à la maman d’Israe le jour de l’accouchement. Noura ramènera son bracelet de naissance, symbole du jour « lumineux » où la famille a obtenu un permis de séjour en France.
Il y aura aussi les objets rêvés ou fantasmés, ceux pour lesquels je chercherai une image sur le net. Ce dragon en verre, provenant du Cambodge, pays où il fait chaud et où Baptiste n’est jamais allé. Pourtant, ce dragon vert, il était à son papa, il a toujours été à la maison… ou bien, peut être que « c’est dans un rêve. »…
Cent quatre objets ont été recueillis pour nous raconter autant d’histoires. Chacun d’eux crée un récit au sein de la famille, tisse des liens entre « là-bas » et « ici », entre soi et l’autre, entre le présent et le passé. Cent quatre récits, pour autant de voyages transculturels et transgénérationnels.
Fabienne