Je me souviens de toi, Yasin
Je me souviens de toi, Yasin, que j’accompagnais en foyer de l’Enfance, où tu avais été placé à l’âge de treize ans. Tu évoluais dans un milieu précaire et rencontrais de multiples difficultés : absentéisme scolaire, comportements transgressifs, conduites à risques et passages à l’acte.
Tes parents et toi subissiez la violence de ton frère aîné, depuis l’âge de tes six ans. Ils ne parvenaient pas à t’en protéger. La relation avec ton père en était affectée, le lien se distendait. Ta maman se disait dépassée, impuissante et seule.
Tu t’exprimais uniquement en français. Pourtant, ton père ne parlait que le turc. Cette langue, tu la comprenais mais tu ne l’utilisais pas. Et tu t’interrogeais. Pourquoi tes parents ne te parlaient-ils pas dans leur langue maternelle ? Comment alors pouvais-tu avoir accès à ton histoire ? Tes accès de violence, les conflits, n’étaient-ils pas un moyen d’exister face à la violence que tu avais subie, face à tes questionnements identitaires ?
Au foyer, tu questionnais le cadre que posaient les professionnels. Peut-être est-ce aussi pour cela que tu nous touches Yasin ? Mais c’est surtout ton humour, ta sensibilité et ta maturité que je retiens de toi.
Des mois après avoir quitté la structure, la thérapeute familiale m’a appris que tes parents avaient été invités pour cuisiner et partager des plats turcs. Rendez-vous après rendez-vous, un lien s’était créé entre la professionnelle et tes parents. La confiance s’était établie, permettant à la parole de se libérer et de raconter une histoire, la tienne et celle de ta famille. Ton histoire ressemble à celle de beaucoup d’enfants issus de l’immigration. Tu as grandi ici, tes parents ailleurs. Cela te demande certainement un travail plus difficile que celui des autres adolescents de ton âge. J’y vois de la créativité et beaucoup de possibles.
À l’heure où j’écris, tu as quitté la structure depuis plusieurs mois, tu es accueilli dans un nouveau lieu. Le chemin de ta reconstruction sera long Yasin, et semé d’embûches. Cependant, je préfère penser que l’accompagnement que l’on vous a proposé, à toi et à tes parents, a permis de semer les graines de cette reconstruction. À travers ton accompagnement et celui de ta famille au quotidien, par notre façon de prendre soin, nous t’avons peut-être aidé à trouver une façon d’être au monde. Faire le lien entre la culture française dans laquelle tu as grandi et la culture turque de tes parents, te donnera je l’espère l’appui pour trouver le chemin de ton identité et celui de l’apaisement.
Anna
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