– Les mots de Catherine –

Cher Mahdi

Un dimanche de mai, tu es venu au bureau me rendre une visite de courtoisie. Tu avais quitté notre dispositif de semi-autonomie depuis quelques mois, et tu aimes revenir de temps à autre nous donner de tes nouvelles.

Ce jour-là, tu as parlé longtemps, du Mali, ton pays, de tes parents, de ton voyage périlleux et de ton installation en France.

Tu as quitté Bamako sans prévenir ton père et ta mère que tu chéris tant. « Tu sais Catherine, dans notre culture, on dit que si ton père meurt, tu continues à vivre, mais que si ta mère meurt, alors tu es mort aussi ». Ta maman s’appelle Fatima, elle t’a enseigné le courage en te répétant dès ton plus jeune âge : « Ne baisse jamais les bras mon fils ».

Du courage, il t’en a fallu pour prendre le bateau dans lequel tu as longtemps hésité à monter. L’immensité de la mer te faisait peur, sans horizon, sans repère. Cinquante-cinq personnes, entassées dans une petite embarcation. Monter à bord, c’est « choisir entre la mort et la vie ». La mort, si pendant la traversée « un djinn se présente à toi sous l’apparence de ton père ou de ta mère et te dit de descendre du bateau. Si tu lui obéis, tu tombes à l’eau et tu te noies ». La mort, si « tu ne te fais pas tout petit dans le canot » et qu’un de tes compagnons d’infortune te jette à la mer. « Certains sont devenus fous… Je ne pense pas que je le referais ».

Tu arrives en France, rempli d’un espoir vite refroidi. On doute de ta minorité, tu dors dans la rue… Heureusement, ton chemin croise celui d’adultes bienveillants et, enfin confié à l’Aide Sociale à l’Enfance, tu peux te poser un peu. Tu mettras longtemps à trouver le repos, tes nuits sont agitées de mille et une questions. « Est-ce que j’aurai mes papiers ? Est-ce que mon patron va me garder ? »…

Malgré tout, tu n’as jamais perdu ton sourire, Mahdi. Timide au début, il est aujourd’hui franc et confiant. La fatigue des épreuves endurées que je lisais sur ton visage a disparu, tu as soudainement vieilli. Tu es calme, presque serein, d’humeur égale. « Quand quelqu’un est méchant avec moi, je ne peux pas lui rendre sa méchanceté. Je suis un homme faible » me confies-tu. Pas du tout Mahdi, tu es un jeune homme bon, généreux et empathique.

Aujourd’hui, ton avenir est prometteur. Tu continues de déployer tes ailes, « petit à petit » comme tu le dis souvent. Le jour où tu serreras ta maman dans tes bras n’est plus si loin, et je m’en réjouis.

Catherine