IDRISSA
– « Madame, avez-vous été déçue par Monsieur B. ? ».
Nous sommes au tribunal de Paris, chambre correctionnelle. La question du président de la Cour m’invite à dérouler les évènements qui nous ont amenés à nous présenter devant le juge, toi pour y être entendu, ton avocate et moi pour t’entourer et te soutenir.
Je n’ai pas identifié immédiatement ta souffrance Idrissa. J’avais remarqué que tu avais maigri, cela t’allait bien et tu laissais penser que c’était ton choix. C’était le printemps, tu souriais encore.
Un jour, je t’ai à peine reconnu. Tu n’étais plus que l’ombre de toi-même. Tu m’avais alors informée que tu n’allais plus sur ton lieu d’apprentissage. Tu avais consulté ton médecin qui t’avait prescrit un arrêt de travail et un traitement par antidépresseurs. Tu m’avais rassurée, « ça va aller Catherine, je vais bientôt retourner travailler ».
Quelques semaines passent. Tu es dans l’évitement, j’ai beaucoup de difficultés à te joindre par téléphone et ta présence à l’appartement est rare. Je suis tenace car inquiète. Nous parvenons enfin à nous voir et à échanger. Tu m’apprends que tu ne dors plus la nuit, que tu ne manges plus, que tu as commencé à fumer du cannabis. Je me souviens, nous sommes assis côte à côte sur un banc, en face du canal de l’Ourcq. Et tu commences à parler dans un flot ininterrompu. Je dois tendre l’oreille et tout mon corps car tu as la tête baissée et la voix couverte. Tu racontes ton départ du Mali, un choix qui n’était pas le tien, tu es un mandaté. Tu racontes ce long voyage, la traversée sur un canot qui tombe en panne en plein océan, qui tangue dangereusement et qui jette à la mer certains de tes compagnons de voyage, qui ne remonteront pas. Tu me racontes l’eau qui monte jusqu’aux chevilles, ta peur de mourir. C’était il y a trois ans Idrissa, mais pour toi c’était hier, et encore un peu aujourd’hui. Et tu ne manges plus, tu ne dors plus.
Mais tu es un battant, tu veux aller mieux. Tu acceptes la main que je te tends pour t’accompagner vers le soin.
– « Madame, avez-vous été déçue par Monsieur B. lorsque vous avez appris sa garde à vue ? ».
Je n’ai pas su tout de suite que tu étais en garde à vue. Ton absence prolongée à l’appartement m’a amenée à arpenter les rives du canal. J’ai pensé au pire Idrissa. « Non, Monsieur le président, je n’ai pas été déçue. Le comportement d’Idrissa est exemplaire depuis son admission dans notre service il y a deux ans. Sa fragilité psychique des derniers mois l’a conduit à faire de mauvais choix, qu’il reconnaît aujourd’hui devant la Cour et qu’il regrette. Je suis fière de lui Monsieur le président, de son courage, de sa combativité. Je suis fière de la confiance qu’il m’accorde ».
Tu as retrouvé le sourire Idrissa. Tu as repris des forces et, plus que jamais, tu es tourné vers l’avenir, apaisé et empli d’une énergie confiante.
Catherine
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