La Française qui n’aimait pas manger
Oui, vous avez bien lu ! Cet oxymore se veut aussi poétique que réel. C’est ma vie, mon handicap culturel.
Depuis toujours, j’ai du mal à comprendre cet engouement, ce truc qui fait qu’on se gausse à dire « je fais péter le bouton » lors d’un repas festif… Alors, depuis toujours aussi, j’ai eu droit à des surnoms, à des remarques, à être différente.
De ce désintérêt, bien évidemment, a découlé une indifférence pour le fait culinaire. Il y a tellement d’autres choses à faire dans la vie, d’autres choses à partager, non ?
En grandissant, il y a eu ces nouveaux questionnements : « Comment feras-tu si tu as un amoureux ? », « Comment feras-tu le jour où tu auras des enfants ? Une maman, ça fait à manger ! ».
Alors la culpabilité est née, les craintes de ne pas être à la hauteur, les doutes. Je ne suis pas comme il faut, je n’ai pas ce qu’il faut, peut-être sont-ce mes papilles qui ne fonctionnent pas ?
Et puis, j’ai voyagé et j’ai découvert d’autres saveurs, d’autres manières de faire, d’autres manières d’aborder la nourriture. On n’est pas obligé d’être assis de longues heures, ni d’utiliser des couverts. Ces nouvelles possibilités semblent avoir ouvert mes papilles. A 30 ans passés, j’ai enfin découvert ce que signifie saliver.
Dans un autre registre, il y a eu cette canadienne découvrant que j’étais française : « Ah, la France, Paris, le parfum, les femmes si minces… » s’exclama-t-elle avec admiration. Bon, ben disons que je vis en province et qu’on me parle en espagnol en voyage…
Toutes ces situations me renvoient à ce fameux, « Je suis noir et je n’aime pas le manioc » de Gaston Kelman. Dans cet essai, l’auteur aborde avec humour chaque cliché attribué aux personnes noires. Il y déconstruit ces a priori qui entravent la rencontre. Il souligne également l’essentialisation et l’auto-essentialisation dont chacun d’entre nous peut faire preuve. Ces schémas ouvrent, selon lui, la porte des mécanismes d’exclusion dans la société française notamment.
Alors moi, la française qui n’apprécie pas la grande Gastronomie, j’ai été métissée par mes expériences de vie. Comme nous le sommes tous, chacun d’entre nous. Ce défaut, cette « complexitude » du quotidien, m’a exclue mais pas seulement. Elle m’a aidée à me positionner autrement, à questionner, à essayer de comprendre l’autre, l’altérité, l’altérité en moi.
Restons vigilant à rencontrer l’autre, à ne pas lui coller une étiquette. Lui seul est le gardien de son décodeur.
Delphine
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