Pourquoi on part ?

Je viens de tourner la dernière page du livre « Les lumières d’Oujda » de Marc Alexandre Oho Bambe et l’émotion est encore si forte à la lecture de ce roman, que les idées se mêlent et s’entremêlent dans mon esprit encore brumeux.

Mais je veux écrire. Là, maintenant. Sous le coup de l’émotion.

Je veux écrire pour laisser trace de ce que je ressens à la lecture de ce récit. Il nous parle des fugees – comme il les appelle -, ces jeunes adolescents qui partent de chez eux, pour affronter un avenir incertain, souvent loin, très loin de leur pays, de leur famille, de leurs racines, au risque de croiser la mort sur leur parcours dans les « cimetières de sable et d’eau », pour un avenir qu’ils imaginent et souhaitent, meilleur, ailleurs. Comme beaucoup de réfugiés.

Marc Alexandre Oho Bambe – dit Capitaine Alexandre – poète, écrivain et slameur, nous embarque dans un voyage où il rend hommage à ces fugees qu’on appelle ici en France les « Mineurs Non Accompagnés », les MNA, acronyme officiel. Acronyme qui déshumanise, pointant uniquement des critères d’âge et de statut. À travers une écriture chantante et poétique, Capitaine Alexandre leur redonne une humanité, et va à la rencontre de ces jeunes, en pleine construction identitaire, nourris d’un désir de vie incroyable. « Pourquoi on part ?». C’est bien la sempiternelle question à laquelle ils doivent répondre et à laquelle, chacun, chacune, donne sa propre réponse.

Ces jeunes, adultes en devenir, ont tous un parcours singulier, mais sont souvent confrontés à des problématiques communes : le racisme, la xénophobie, les discriminations, la violence, les humiliations, les viols et le déracinement. Car même si le départ est volontaire, il n’en reste pas moins douloureux : « Tu quittes un pays mais lui ne te quitte pas / Tu habites sa douleur et celle-ci habite en toi », « La route est longue / Vers le bonheur qui n’existe pas / Pas totalement / Il y a toujours un être qui manque / Ou un pays, une terre, une mer, une montagne, un paysage ».

J’ai ainsi fait la rencontre de Yaguine, Fodé, Imane, Père Antoine, Ibra, Aladji, Céline. J’ai voyagé à travers l’Italie, le Cameroun, le Maroc, Le Liban, La France. Rencontres et voyages que je pourrai peut-être un jour réaliser, en vrai, sans autre nécessité que d’avoir mon passeport à jour, moi qui suis privilégiée, née du « bon côté » du monde. Car Marc Alexandre Oho Bambe a la finesse et la justesse de venir nous questionner sur cette liberté de pouvoir – ou non – circuler dans ce « tout monde ».

L’auteur, à travers une écriture engagée, nous fait prendre conscience de notre pouvoir. « Nous avons le pouvoir de l’indignation, qui est aussi un devoir / Parfois / Nous avons le cœur à la rencontre, à l’engagement (…) / Ce texte ne changera pas grand-chose, et même rien, au désordre du monde, mais il prend parti / Pour la beauté. La dignité. La justice / Il invite à un autre regard, sans prétention ». Car oui, il est urgent de changer les regards, déconstruire nos préjugés, prendre le risque de la rencontre avec l’autre, celui qui nous est étranger.
Ce texte rend hommage à tous ces fugees que l’on pourrait croiser sur notre route, personnelle ou professionnelle, mais aussi à tous ces professionnels et bénévoles, engagés, qui les accompagnent dans leurs parcours, trop souvent semés d’embûches.

Juile

Peinture de Olga Yaméogo

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