L’accueil juste
Depuis une quinzaine de jours, la guerre est déclarée en Ukraine. Cette guerre, à laquelle personne ne voulait croire, a finalement éclaté aux portes de l’Europe.
Depuis, il règne une ambiance angoissante, alimentée par les chaînes d’information qui diffusent en boucle des images d’un pays dévasté par les bombes et de ses habitants qui fuient. On y voit s’opérer un tri entre les hommes qui doivent rester combattre et les femmes et enfants qui prennent la route de l’exil, pour sauver leurs vies. Mais pas que… On y voit également des expatriés ou des étudiants, africains ou indiens pour la plupart, empêchés de fuir.
En effet, quelques jours après les premières évacuations de civils, il a été prouvé, par de nombreux témoignages, qu’un certain nombre de personnes – souvent des personnes noires – avaient été victimes d’actes racistes, perpétrés au sein même de l’Ukraine et aux frontières de la Pologne. Ces images – très relayées sur les réseaux sociaux et moins dans les médias – ont mis à jour des traitements inégalitaires, des insultes et des violences physiques ; dérives d’une pensée qui établit une forme de hiérarchisation des personnes fuyant la guerre. Dans le même temps, en France et dans nombre de pays d’Europe, nous constatons un soutien quasi inconditionnel et une mobilisation inédite envers la population ukrainienne. Que faut-il penser de ces deux réactions totalement antagonistes ?
Ces derniers jours, nous avons été questionnées dans nos cadres professionnels et personnels. Ainsi, certains de nos étudiants nous ont interpellés sur cette situation et sur tous les élans de solidarité, relayés et encouragés dans l’ensemble de la société. Ils ont cherché à comprendre pourquoi la France peut soudainement déployer un arsenal de moyens exceptionnels pour accueillir ces réfugiés alors même qu’elle refuse les réfugiés afghans, soudanais, syriens qui fuient eux aussi la guerre. Que répondre à ce type d’interrogations ? Peut-on y voir ce que Peggy McIntosh nomme le privilège blanc ?
De même, certaines d’entre nous travaillent depuis longtemps auprès des demandeurs d’asile et se questionnent sur cette protection temporaire qui se débloque si rapidement pour la première fois, alors que d’autres réfugiés attendent désespérément leur réponse depuis des mois. Et que dire de la mise en place de la plateforme d’hébergement spécifique alors que le service du 115 est saturé depuis des années ? Que penser de tous ces appels aux dons, alors même qu’il est habituellement difficile de mobiliser les gens lorsque cela concerne d’autres réfugiés ? Nous constatons une dynamique jusque-là inégalée ; autour de nous, beaucoup de personnes se sentent touchées, concernées par ce qui arrive aux ukrainiens. Nous ne pouvons que nous interroger sur ce qui fait la différence entre cette guerre et les précédentes, celles qui durent et celles auxquelles on s’habitue.
Certains diront que ces personnes leur ressemblent : elles sont blanches, habitent en Europe et, soyons honnêtes, sont pour une grande majorité d’entre elles de religion chrétienne. Ces ressemblances culturelles, réelles ou supposées, participeraient du processus d’identification, développant ainsi l’empathie pour ce peuple.
Il y a quelques années, une publicité anglaise pour une organisation humanitaire avait mis en scène des enfants occidentaux sous les bombes et fuyant leur pays. L’idée était justement de solliciter l’empathie des spectateurs en faisant appel à ce processus d’identification bien connu des publicitaires. Mais sur quoi se fonde l’empathie ? A-t-on besoin de s’identifier à l’autre pour avoir de l’empathie envers lui ? Si l’empathie s’explique par des mécanismes d’introjection et de projection, interrogeons-nous sur nos représentations des réfugiés ukrainiens et notre contre-transfert culturel.
Espérons que ces évènements – aussi tragiques soient-ils – puissent permettre une prise de conscience collective sur nos façons de penser l’altérité et l’accueil de tous les réfugiés.
Anissa, Delphine et Julie
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