– Les mots de Tumbé –

Équilibre entre deux cultures

« Que signifient les racines quand aucun sol ne nous tolère ? » Altaf TYREWALA

Lorsque l’on est métissé, doit-on prendre 50% de chaque culture ou peut-on s’autoriser un 70-30% ? Faire du tri dans ses cultures, en prendre et en laisser, se tailler une culture sur mesure dans laquelle se sentir à l’aise.

Être en paix et aligné avec ses choix.

Assumer ces dits choix.

Faire preuve de compréhension envers ceux qui ne peuvent ni renoncer, ni trier, ni mélanger.

Comprendre les aînés, premiers arrivés, réussir à transmettre sans frustration ni culpabilité, dans une transmission réfléchie, assumée et apaisée.

La première génération de migrants a été confrontée au choc culturel. Elle a dû s’adapter, malgré le décalage culturel et cultuel. Ces migrants avaient des ambitions et espéraient un avenir meilleur pour leur descendance. Ils contribuaient à l’essor économique de ceux restés au pays et étaient la fierté de leurs familles.

Ils ont cependant dû faire des deuils successifs : deuil de « l’eldorado », deuil de la condition sociale, deuil de l’intégration dans les deux cultures, deuil de la possibilité d’être à la fois entièrement en France et dans le pays quitté et tant d’autres deuils encore. Ils se sont trouvés amputés d’une partie d’eux-mêmes.

Ces premiers arrivants ont connu la vulnérabilité. Souvent seuls, isolés et perdus dans un système très différent de celui qu’ils avaient quitté, ils ont été noyés dans une société étrangère et trop souvent hostile.

Pour survivre, beaucoup se sont rattachés à ce qu’ils connaissaient : leur culture, leurs rites, leurs us, toutes ces choses rassurantes et ressourçantes. Ils se sont arrimés à leurs valeurs et principes sans rien changer, rien omettre. 

Exister ici avec un bagage culturel d’ailleurs. Exister à travers ce contenant culturel qui est un garde-fou. Se figer dans sa culture au point de se retrouver en décalage avec les siens lors des retours espacés et peu fréquents.

Se sentir de nouveau étrangers, puisque cristallisés sur des principes désormais désuets. Avec ce vécu pour trame de fond et afin de ne pas se perdre ou se diluer dans une société nouvelle, trop étrangère, leurs enfants nés ici seront bien souvent éduqués avec la rigueur d’un autre temps.

Les premiers arrivés étaient des hommes venus travailler dans les mines ou les usines, puis les femmes les ont rejoints. 

Elles aussi avaient nourri beaucoup d’espoirs et elles aussi ont très vite déchanté, confrontées à la solitude, à la misère ou encore à l’inconnu des nouveaux codes et d’une nouvelle langue. Elles ont connu le choc de vivre la maternité loin des mères et des femmes du clan. Elles aussi ont été vulnérabilisées et ont perdu leurs repères.

De femmes à mères, de travailleurs à pères, les voilà mettant au monde des étrangers. 

Leurs enfants seront leurs éclaireurs, leurs interprètes, leurs scribes et parfois leurs tuteurs mais surtout leur lien avec l’extérieur, la nouvelle société.

À travers les lieux de soins, d’éducation ou administratifs, ces enfants vont être des ambassadeurs, responsabilisés dès le plus jeune âge. Ces enfants dits de deuxième génération vont être propulsés, ballotés et surtout « sacrifiés » pour l’équilibre de leurs deux mondes : celui du dedans et celui du dehors.

Ces hybrides culturels de la deuxième génération vont être dans un entre-deux, un sas culturel : trop d’ailleurs pour le pays d’origine et pas assez d’ici pour la terre d’accueil.

Éduqués plus durement qu’au pays, leurs parents sont souvent inflexibles sur les règles. Ils vont faire face à des choix cornéliens. Mais trier n’est pas aisé lorsque l’on est entravé par les principes. Les rêves sont vécus comme illusoires et le sentiment de n’être à sa place nulle part est tenace.

L’adolescence va venir d’autant plus ébranler ces systèmes familiaux. Les choix amoureux vont aussi être source de conflits, les parents optant pour une endogamie et les jeunes adultes étant plutôt ouverts à l’exogamie. Le clash générationnel peut alors conduire jusqu’à la rupture des liens familiaux.

Quant à la troisième génération, elle se veut libérée des contraintes culturelles. Elle se réclame d’ici et d’ailleurs. Certains font le choix d’un retour aux sources ou au contraire veulent aller de l’avant. Le mouvement  « être-Métis » se diffuse sur les réseaux sociaux, affirmant les enjeux identitaires des enfants qui portent la multiplicité en eux. 

Où les petits-enfants de migrants puisent-ils leur appartenance ? Comment construisent-ils leur chez-eux ? Se sentent-ils acceptés dans leur singularité culturelle ?

Sous des formes différentes, ce sont finalement les mêmes enjeux qui se reposent d’une génération à l’autre, puisque se métisser n’est aisé à aucune étape de l’histoire transgénérationnelle.

Toutes les générations ont en commun ce profond et complexe travail d’entre-deux, de tri, de métissage.« Les enfants sont les ultimes racines des déracinés » Karine TUIL.

Tumbé

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