Le matloue : ma madeleine de Proust
Les liens transculturels se tissent dès le plus jeune âge.
De l’école maternelle et primaire, je me rappelle surtout le pain que mes amies Rachida et Bouchra mangeaient dans la cour de récréation. J’adorais son odeur, sa rondeur, sa mie épaisse et tendre. Tellement loin des pains de ma maison et pourtant tellement tentant. Des morceaux ont été partagés puis des parts m’ont même été réservées : un véritable honneur ! Le goût de ce pain, toujours associé au souvenir de mes amies dont il me reste seulement quelques photos et quelques informations éparses, est resté profondément ancré dans mes papilles. Pour autant, je ne l’ai jamais vraiment cherché. Durant mes années de vie à Paris, j’ai parfois cru le reconnaître. Ce n’était pas ça.
Un peu plus de 30 ans plus tard, une migration en Belgique et deux déménagements, je pose mes bagages à Saint-Josse-Ten-Noode, une des communes les plus cosmopolites de Bruxelles. Ce quartier résonne comme l’écho des cours de récréation de mes années d’enfance. Je mets un pied sur le trottoir et j’entends facilement quatre langues différentes en l’espace de quelques mètres. Je me mets en quête de quelques repères pratiques : un supermarché, une poste, un café, une bulle à verre… Je vois une multitude de magasins de vêtements de seconde main, des épiceries qui regorgent de fruits et légumes, des boucheries et… des boulangeries. Je crois l’avoir retrouvé : déception. La croûte est dure, la mie est sèche, seuls restent les grains de semoule.
Et puis un jour, il apparaît devant mes yeux, comme un cadeau sous le sapin de Noël. Je m’empresse de rentrer chez moi et j’opère en une bouchée un voyage dans le temps : je suis dans la cour avec Rachida et Bouchra. Je retrouve ces moments précieux, magiques, suspendus !
Depuis lors, le matloue m’accompagne au quotidien, du petit déjeuner au dîner. Il me nourrit, me console, me rassure. Il est de toutes les fêtes ! À mon tour, je le partage avec mes amis, mes collègues et ma famille. Mes neveux en raffolent. Un, souvent deux matloue (il n’y en a jamais assez) se faufilent au fond de mon sac à dos ou de ma valise et traversent régulièrement la frontière.
En partageant ces bouts de pain, Bouchra et Rachida ont eu le courage de s’exposer au monde du « dehors » et m’ont transmis un bout d’elles-mêmes et de leur monde du « dedans » que j’ai moi-même en partie incorporé au sens propre comme au sens figuré. Le goût de ce pain mêlé à la relation d’amitié m’a donné le goût des autres.
Sur ces échanges informels qui se déroulent dans les cours de récréation se construisent les liens transculturels de demain. Le matloue : une belle madeleine métissée !
Léa
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