La langue de mon père

En tant que métisse franco-algérienne, j’ai toujours ressenti un manque dans le fait de ne pas parler l’arabe, comme si je n’étais pas complète… Ce manque prenait toute son importance lors des voyages en Algérie dans le fait de ne pouvoir partager et comprendre les subtilités des discussions en famille. Je devais en permanence attendre que l’une de mes rares tantes qui parle français, me traduise ce qui se disait, ce qui suscitait en moi une grande frustration. Il m’était impossible d’avoir des discussions profondes sur la vie, le monde et sur mon histoire familiale. Je me sentais privée des anecdotes et des subtilités qui se transmettent dans toute famille et qui permettent aux enfants de s’y inscrire de manière intime, de développer un sentiment d’affiliation et d’appartenance. Mon père n’est pas très bavard et se confie peu sur son passé, sa jeunesse, ses liens avec les différents membres de la famille. J’ai tant rêvé de pouvoir entendre ma grand-mère raconter son enfance, parler de sa vie, de ses parents, elle semble si drôle et je ne comprends pas ses blagues ! Elle est si forte, j’aurais tant appris ! En écrivant cela, je me sens envahie par une tristesse comme si j’avais été volée, dépossédée. Le pire pour moi est d’avoir été capable d’apprendre d’autres langues, dont celle de mon conjoint (étonnamment..), mais d’être incapable de parler l’arabe, ma langue affiliative, celle de mes aïeux.

Plus jeune, j’ai souvent demandé à mon père de m’apprendre l’arabe, il me répondait que ce n’était pas important, qu’il valait mieux que je parle le français et que j’apprendrais l’arabe sur le tas.  Ce qui ne fut jamais le cas… Alors oui, j’ai bien quelques bases, mais celles-ci sont tout juste rudimentaires et me permettent de parler quasi exclusivement avec les enfants de la famille. D’ailleurs, j’ai souvent le sentiment, en me comparant aux nouvelles générations qui naissent dans la famille, de ne toujours pas avoir le statut d’adulte du fait de mon handicap de communication. Même si personne ne m’en fait le reproche et malgré l’amour que je reçois de ma grand-mère et du reste de la famille, je reste celle qui ne sait pas, celle qui n’a pas acquis… Et finalement, celle qui ne grandit pas ! 

Je me suis interrogée sur la raison pour laquelle mon père trouvait cet apprentissage « non essentiel » voire presque honteux. En quoi serait-il une compétence moins nécessaire que le français ou l’anglais ? Il est paradoxalement fier d’être algérien mais a intériorisé une forme de complexe lié à la colonisation. Je repense également aux débats enflammés sur l’enseignement de l’arabe à l’école et l’idée véhiculée par certains qu’être un ‘bon français’ signifierait concorder sur un seul et unique modèle de référence. Or, je reste profondément convaincue que, pour le dire avec Marie Rose Moro, « des enfants qui ont plusieurs appartenances, plusieurs mots, plusieurs possibles, plusieurs affiliations, plusieurs mondes, c’est à mon sens une richesse ». 

Mon fils, métis et métissé, est bilingue français-anglais et n’a de cesse de demander à son grand-père de lui apprendre l’arabe. Peut-être aura-t-il ma revanche…

Anissa

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *