Saint-Nicolas, la fête des enfants ?
Faut-il appartenir à une communauté pour s’indigner des préjugés à son encontre, ou s’agit-il d’une question d’engagement et d’une ouverture transculturelle ?
En décembre 2010, j’arrive dans l’école au sein de laquelle je travaille encore aujourd’hui. J’y découvre une affiche, format triple XL, représentant Saint-Nicolas et ce que j’imagine être son pendant punisseur, Zwarte Piet, sous les traits d’un homme noir. Première sidération. Le même mois, alors que je traverse un grand centre commercial de Bruxelles au pas de course, mon élan est coupé à la vue d’une animation mettant en scène un homme blanc, déguisé en Saint-Nicolas, et un homme noir jouant le rôle de Zwarte Piet. Seconde sidération. Surgissent les souvenirs de mes recherches en histoire portant sur les représentations culturelles associées à la figure du Père Noël, au cours desquelles j’avais croisé celle de Zwarte Piet, dont le visage souillé n’avait pas d’autre lien que son métier de ramoneur. J’interroge mon entourage et constate avec étonnement qu’ils sont habitués à la situation qui pour ma part m’offusque.
Je me mets alors en quête d’écrits à ce sujet. Peut-être ai-je mal cherché, toujours est-il que je ne trouve que très peu de recherches pertinentes. Certes, la presse relaie les débats provoqués au Pays-Bas et en Belgique. Finalement, je découvre l’article de Mireille-Tsheusi Robert intitulé « Blackface : au chevet du privilège blanc. L’impact du Père Fouettard sur les enfants afro-belges », paru en 2020 dans la revue Tumultes.
Les effets de l’esclavage sont là, sous nos yeux, et pourtant, l’air de rien… Au nom du folklore et de la « fête des enfants », que leur transmettons-nous et quels rôles leur sont assignés ? Quelles figures d’identification leur sont offertes, et à travers elles, quelles valeurs leur sont inculquées ? Comment perpétuons-nous la loi du silence et la justification de violences, physiques, verbales et psychiques ?
Il nous faut écouter les paroles des enfants et adolescents d’ici et d’ailleurs, afin de soigner les représentations que nous leur léguons, et nous prémunir de répéter les traumatismes, de cautionner le racisme et les discriminations, de banaliser la déshumanisation de certains et la survalorisation des autres.
L’art demeure un moyen d’énoncer et de dénoncer les préjugés et le racisme prétendument « ordinaire », tout en se décalant de la réalité. Mireille-Tsheusi Robert met ainsi en lumière le travail de l’artiviste afrodescendante Laura Nsengiyumva. En 2018, non sans humour, elle a créé le personnage de « Queen Nikkolah ». Une figure qui, selon sa créatrice, représente la créolisation de la société belge et contribue à faire évoluer les traditions.
Diffuser et commenter de tels engagements est une manière de refuser la hiérarchisation des êtres au sein des sociétés et de s’ouvrir à l’immense potentialité des points de vue transculturels.
Léa