Nous et les enfants de FANON. Des destins croisés

J’ai découvert pour la première fois l’existence de Frantz Fanon au cours d’une promenade d’été dans les rues d’Alger. J’avais 18 ans. Son nom, inscrit sur des plaques de rues ou de lycées, m’intriguait. Quelle était la place de ce « gaouri » (« occidental » en arabe) accepté dans l’agora algérienne, alors que tous les noms français avaient été systématiquement effacés depuis l’indépendance ?

Lorsque je demande qui était Frantz Fanon à Alger, les éloges ne manquent pas. Mais pourquoi, alors que j’ai grandi au pays des Lumières, aucun de mes manuels scolaires ne le mentionnait nulle part ? Comme si son existence était cachée, comme s’il était devenu honteux de le faire exister rien que par la pensée. 

Dans ma famille Algérie, il est un «martyr», un « grand homme ». Dans ma famille France, un secret de famille.

Mon père m’a un jour appris qu’il connaissait bien le fils de Frantz Fanon, Olivier. Il m’a raconté qu’ils avaient tous deux fréquenté le lycée Amara Rachid de Ben Aknoun, situé sur les hauteurs de la ville. Mais il n’a jamais rencontré le père d’Olivier, parti pour rejoindre la résistance algérienne dans le maquis.

Mon père aurait-il pu à l’époque imaginer ce qui allait se passer ?

Voir lui aussi son père rejoindre les rangs de l’Armée de Libération Nationale dans les montagnes de Kabylie et, comme Olivier, devenir le petit chef de famille, protéger la maman, et avoir un père décoré de la médaille de « Moudjahid » (« combattant »). Puis un jour devoir partir loin de ses terres, pour devenir un « immigré », épouser la culture des « Roumi » (c’est ainsi que mes grands-parents appelaient les colons français) et élever des enfants qui, presque par hasard, étudieront l’œuvre politique et psychiatrique de Fanon

La génération de mes grands-parents est celle de Frantz Fanon. L’héritage qu’elle nous laisse à nous, enfants et petits-enfants, est commun, traumatique, dense, complexe. Il se mélange et s’associe à ce qui fait notre identité métissée d’enfants français issus de l’immigration post-coloniale.

Frantz Fanon est un métisse. Comme son fils, comme nous, il a appris une autre langue que la sienne, et il s’est engagé corps et âme en Algérie. Il fait partie des bâtisseurs de l’Algérie d’aujourd’hui, comme nous faisons partie de ceux de la France de demain. 

Frantz Fanon est pour moi un modèle transculturel car il ouvre une voie où l’altérité est reconnue comme telle, s’exprime, s’affranchit.

Hania

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