#MeeToo a commencé en octobre 2017. Un mouvement inouï dans l’histoire. Une révolte mondiale contre les violences sexuelles, contre les viols, au travail, dans la famille, à l’école, des violences privilèges des différents dominants depuis des millénaires. L’impunité n’est plus certaine pour les auteurs.
Favorisée par #Meetoo, la réception du livre de Camille Kouchner paru en le 7 janvier 2021 sur l’inceste commis sur son frère par leur beau-père a un effet immense, que n’avaient pas eu d’autres témoignages auparavant comme celui d’Eva Thomas, Le viol du silence paru en 1985. Le fait que l’agresseur appartienne aux élites y contribue sans doute. Le 16 janvier 2021, le collectif #NousToutes déclenche #MetooInceste qui recueille des milliers de témoignages en quelques heures.
Le 23 janvier 2021, le président de la République annonce la création d’une commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) qui a recueilli plus de 16 000 témoignages en un an. Certaines des recommandations de la CIIVISE sont reprises par le gouvernement le 21 septembre 2022, dont la mise en œuvre début 2023 d’une grande campagne nationale de lutte contre ces violences (Cordier 2022).
On ré-édite le livre d’Eva Thomas et le livre de Dorothée Dussy, Le berceau des dominations, anthropologie de l’inceste publié une première fois en 2013. L’inceste n’est plus considéré comme un acte exceptionnel commis par une personne hors-norme, mais un acte fréquent, commis par une personne ordinaire. L’impunité des incesteurs est dénoncée. L’inceste est reconnu comme une violence structurelle au carrefour de la domination masculine et de la domination adulte (Piterbraut-Merx 2022). L’aveuglement de la psychiatrie, de la psychologie, de la psychanalyse, de l’anthropologie sont critiqués et situés dans une « culture de l’inceste » qui ne reconnaît pas assez les pratiques incestueuses (Brey et Drouar, 2022).
Les enquêtes découvrent un crime de masse : une personne sur dix déclare avoir été victime d’inceste, 80% de femmes et 20% d’hommes (Ipsos 2020, Bajos et al 2021). L’inceste existe dans toutes les sociétés. Qu’en est-il en situation migratoire ? Certaines femmes migrantes s’éloignent d’un mari violent en prenant appui sur les ressources de l’état social et de l’état de droit limitant la domination masculine dans le pays d’accueil (Delanoë et 2 al 2022). En assistant aux auditions publiques de la CIIVISE, on peut entendre des témoignages de personnes migrantes incestées. Peuvent-elles s’exprimer dans d’autres lieux ? Peut-on porter plainte pour agression sexuelle par un proche quand on est sans papiers, en précarité, stigmatisé, alors que c’est déjà si difficile pour les personnes d’ici ? Peut-on affronter le groupe familial élargi ou plus largement la « communauté » ici et au pays ? Le conflit de loyauté, l’omerta, et le rapport de force entre incesteur et personne incestée, sont probablement encore plus écrasants en situation migratoire. Pour les thérapeutes, comment penser les violences sexuelles commises par un parent migrant, déjà dominé, sur ses enfants plus dominés encore ? Bruno Clavier (2022) a constaté que ses patientes et patients ont
commencé à lui parler de l’inceste quand lui-même était prêt à l’entendre. Dans le cadre de l’association qu’elle a fondée, SOS inceste, Eva Thomas a pu former un groupe de travail sur l’inceste dans les années 1990, avec des psychanalystes, dont Pierre Sabourin, qui a participé à la traduction de Ferenczi. A notre tour, sommes-nous prêts à entendre les victimes d’inceste en consultation transculturelle ? Leur offrir un appui face à cette forme extrême de la domination adulte ?
Daniel Delanoë