Un Abécédaire pas comme les autres
Dans ma famille, les livres, les mots sont importants. Cet amour du livre et des mots, je l’ai reçu de ma mère, qui l’avait reçu de sa mère. Alors, quand ma fille est née, de façon inconsciente à l’époque, j’ai perpétué cette tradition. Je me rappelle qu’un des premiers livres que j’ai cherché pour qu’elle puisse le manipuler bébé, était un abécédaire. Vous savez, ces premiers livres cartonnés, qui ne craignent pas les petits doigts curieux mais encore maladroits des bébés. Mais je ne voulais pas n’importe quel abécédaire. Il fallait qu’il soit coloré, graphiquement agréable et original. Il est fort possible que mes exigences aient été un peu trop hautes car je ne l’ai jamais trouvé. Sûrement très déçue, j’en avais même oublié cette anecdote.
Alors que s’est-il passé le 27 mai 2021 pour que ces souvenirs reviennent à moi, 20 ans après ? J’ai tout simplement participé à un atelier du colloque de la Revue L’autre où j’ai découvert avec surprise la présentation d’un abécédaire, servant de support au témoignage d’un jeune homme guinéen, Mamadou Sow. Paralysé des jambes à cause de la Polio lorsqu’il était enfant, Mamadou Sow a traversé l’Afrique sur ses mains, bravé les dangers du désert et de la mer, pour venir se réfugier en Europe.
Mamadou nous conte, à travers un récit ponctué d’anecdotes, comment il vivait en Guinée en tant qu’handicapé, jusqu’à son arrivée en Europe. Passé par la mendicité pour pouvoir survivre, Mamadou s’émancipe de ce statut et du regard de ses compatriotes. Un regard souvent jugeant et discriminant. Mamadou s’intéresse à la politique, il veut sortir de ce statut de mendiant handicapé, créer sa petite entreprise, subvenir à ses besoins mais aussi à ceux des autres en créant une association de solidarité pour les plus démunis de son village. Voilà les envies et les projets de Mamadou à Conakry. Jusqu’à ce qu’il décide de partir en Europe, à cause des violents affrontements ethniques dans son pays. Il est fortement convaincu que, ici en Europe, son handicap pourra être mieux soigné, s’autorisant même à rêver d’un appareillage qui lui permettrait de marcher.
Mais cette traversée de l’Afrique et de l’Europe ne s’est pas faite sans difficultés ni sans peurs, de même que son arrivée et son séjour en Italie. Son récit, livré de lettre en lettre, ressemble à un puzzle que l’on découvre au fur et à mesure que les mots s’enchaînent, du A comme Abécédaire jusqu’au Z comme Zigzaguer. Oui, on zigzague dans le récit sincère, touchant et percutant de Mamadou qui se raconte et qui nous raconte les problèmes qui poussent les gens à tout quitter et partir dans l’inconnu de l’ailleurs.
Dès le départ, cet ouvrage m’a particulièrement attiré : son graphisme, haut en couleur rappelant les tissus d’Afrique ; l’utilisation originale du système de l’abécédaire pour nous raconter l’histoire de Mamadou; le choix de chaque mot et de ce qu’ils représentent pour lui ; la puissance du témoignage pour transmettre ; le pouvoir de l’écriture, intime et personnelle.
Cet objet porte et métisse l’art, les mots et les maux. Il est un magnifique exemple des différents supports qui peuvent être utilisés pour accompagner ces hommes et ces femmes venus d’ailleurs, pour les aider à transmettre et apaiser les épreuves et la douleur de l’exil, en faisant appel à leur créativité si profondément transculturelle.
Je l’ai enfin trouvé mon Abécédaire, coloré, graphiquement agréable et original. Je n’ai plus qu’à l’offrir à ma fille pour ses 20 ans !
Julie
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