La fin du mauvais genre?

Il y a quelques jours, sur les recommandations de mes proches, je finissais par visionner le documentaire « Petite fille », déjà très plébiscité. Les images nous plongent dans le quotidien de Sasha, âgée de 7 ans, elle est née de sexe mâle. Si les témoignages de Sasha et de ses proches sont saisissants, c’est une scène en particulier qui a retenu mon attention. En consultation chez la pédopsychiatre, la mère de Sasha s’interroge : son désir d’avoir une fille aurait-il pu influencer le développement identitaire de son enfant ? « Vous n’y êtes pour rien » répond la médecin, puisqu’il s’agirait d’une « dysphorie de genre ». La science détiendrait alors la vérité, sans qu’il ne reste de place pour le doute. Vérité scientifique, sorte de retour d’une vision naturaliste voire pseudo-religieuse, qui exclurait tout processus de construction subjective.

Depuis les années ‘70 pourtant, les gender studies nous ont montré en quoi le genre est une construction et comment – en s’appuyant sur la pensée de Michel Foucault – la certitude d’une assignation à un sexe est un effet du « biopouvoir », une construction sociopolitique. La théorie du genre se présentait alors comme une résistance à la normalisation. La notion même de dysphorie du genre semble au contraire se présenter comme une nouvelle norme, une assignation par le pouvoir médical d’une vérité indiscutable.

La composante sociale dans la construction du genre ne peut pourtant être négligée. Et pour preuve, le genre est pensé bien différemment en fonction des sociétés.

Chez les Inuits par exemple, l’assignation du genre ne s’appuie pas que sur des critères biologiques. Elle est aussi fonction de l’esprit de l’ancêtre, qui ferait retour dans le nouveau-né qui porte son nom. « Une petite fille qui a reçu le nom du père de son père pourra […] être appelée ”papa” par son père et ”beau-papa” par sa mère. Elle apprendra aussi à se servir des outils masculins ».

En Polynésie française, les mahus constituent une catégorie de genre à part entière. « Selon une légende, on éduquait en fille le troisième enfant de la famille, qu’il s’agisse d’un garçon ou d’une fille. […] Un individu biologiquement né homme devient un individu socialement reconnu femme. Telle est la translation identitaire définie par le regard social et considéré comme une figure identitaire, celle du mahu ».

L’assignation du sexe en fonction de traits biologiques ne serait alors qu’une des possibles constructions du genre. Chacun a la tâche de se découvrir, de se situer en fonction d’une assignation sociale. Abolir les contraintes d’une hétéro-normalisation, s’ouvrir et permettre à toutes et à tous de se construire en adéquation avec eux-mêmes est salutaire. Mais ce salut ne risquerait-il pas de devenir un nouveau carcan dès lors qu’un pouvoir médical ou politique s’empresse de dessiner les frontières de ce nouvel horizon à peine émergent ? Une seule vérité pourrait alors nous rassembler : une vérité inclusive, celle du sujet et de son désir. 

Eléonore

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