Se décentrer pour mieux accompagner
Le décentrage, si cher à l’approche transculturelle, soulève une complexité fondamentale et singulière à chaque rencontre. Laissez-moi vous parler de Zoé…
Zoé est une jeune femme demandeuse de protection internationale venant d’Érythrée. Sa prise en charge a débuté en parallèle de ma formation au DU « Psychiatrie et compétences transculturelles ».
L’interprète auquel j’avais l’habitude de faire appel pour des primo-arrivants parlant tigrinia, travaillait désormais comme encadrant dans nos foyers. C’est donc tout naturellement que nous avons choisi de recevoir ensemble Zoé. Elle nous avait été décrite comme une jeune femme qui « faisait des crises » et « avait été ensorcelée dans son pays d’origine ».
Dès les premiers entretiens, j’ai proposé à Zoé de nous expliquer qui elle était, de nous raconter son voyage et de nous parler de ses représentations sur ce qui lui arrivait : Qu’est-ce qu’être une femme dans votre famille ? Comment expliquerait-on ce qui vous arrive dans votre culture ? Comment dit-on « sorcellerie » dans votre langue ? Qui a le pouvoir d’arranger ça ? Comment protège-t-on les femmes traditionnellement ?
Plus je m’autorisais à faire exister ma curiosité dans la triangulation permise par le médiateur culturel, plus l’alliance se tissait entre Zoé et nous. Naissait alors une confiance symétrique qui n’excluait aucune étiologie, proposition, ni pratique.
En Érythrée, Zoé avait été convoitée par un homme. Mais face au refus de la jeune-femme de l’épouser, cet homme lui avait jeté un sort. Zoé nous a expliqué que dès lors, elle n’avait plus pu être heureuse, « sous peine de faire des crises ». Seules la « holy water » (eau bénite) et la « holy powder » (poudre bénite), objets typiques de la médecine traditionnelle répandue chez elle, la protégeaient. Un collier fabriqué par un guérisseur lui avait aussi été remis mais elle l’avait perdu pendant son voyage.
Au fil des entretiens, j’ai aussi découvert que Zoé était très croyante et que ses dimanches au sein de l’église de sa communauté religieuse lui apportaient de l’apaisement. Avec le médiateur, nous nous sommes alors mis à la recherche d’un prêtre, nous imaginant qu’il pourrait contribuer à soulager cette souffrance qui avait accompagné Zoé et qui ne semblait plus vouloir la quitter.
Mais Zoé n’a pas voulu de ces soins occidentaux… « Les blancs ne connaissent rien aux maladies d’Afrique ». Et moi ? Quelle couleur ai-je à ses yeux ?
Au fur et à mesure de nos rencontres, les crises se sont amoindries. Zoé a de plus en plus investi le groupe des résidentes, allant jusqu’à briefer ses voisines de chambre pour qu’elles puissent l’aider en cas de besoin.
Je repense à une phrase que j’avais notée pendant un cours de clinique transculturelle… « La maladie est considérée comme un événement ne concernant pas seulement l’individu malade, mais aussi la famille et le groupe. Par conséquent, elle est soignée sur un mode groupal : soit par le groupe social, soit par une communauté thérapeutique ».
J’ai pris très au sérieux ce que Zoé a pu apporter dans nos entretiens. Je me suis déplacée de mon centre.. décentrée. J’ai fait un pas de côté tout en restant moi pour pouvoir entendre et lui permettre de raconter les choses ressenties ici bien que fabriquées ailleurs.
Ce métissage m’a habité et j’espère qu’il continuera à accompagner Zoé qui déploie désormais ses ailes.
Jenny
Photo by Nathan Dumlao on Unsplash
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !