Identités bafouées

Avez-vous déjà imaginé que l’on puisse remettre en question votre identité ? Suis-je naïve ? Je ne savais même pas que cela était possible avant de partager le quotidien de jeunes mineurs étrangers. 

Vous avez probablement eu écho ces derniers temps via les médias ou les réseaux sociaux de jeunes apprentis étrangers qui ont été contraints d’interrompre leur apprentissage à leur majorité faute d’autorisation de travail ? Certains employeurs sont allés jusqu’à faire une grève de la faim pour se faire entendre et faire valoir la cause de leur apprentis. 

Ils sont maliens, guinéens, ivoiriens, pakistanais, soudanais, congolais, camerounais… Ils sont par dizaines ces jeunes majeurs dans mon service qui ont dû quitter subitement leur formation en apprentissage. Pourquoi ? Parce que l’administration française, et notamment la préfecture à qui sont adressées les demandes de régularisation, ne reconnaît pas les documents d’identité présentés et nécessaires au dépôt de cette demande. Nous faisons face à un réel cercle vicieux et certainement des enjeux diplomatiques que nous ne pouvons maîtriser et dont les jeunes paient les pots cassés. Les documents d’identité des jeunes sont souvent considérés comme apocryphes et on accuse leur pays de ne pas délivrer de documents d’identité conformes. Certes, mais le jeune dans tout cela ? Le jeune fournit les documents d’identité qu’il a toujours su être les siens, ceux qui leur ont parfois été remis en main propre par les parents ou la famille avant le départ, ceux qui ont été délivrés par la mairie du village ou le tribunal de la ville. Ce sont des documents officiels mais qui, selon la France, ne rentrent pas dans les cases qu’elle fixe donc ne permettent pas aux jeunes d’obtenir une carte de séjour ! Au-delà de la grave conséquence administrative, imaginez un peu la violence symbolique que cela engendre. On écrit noir sur blanc au jeune sur un courrier qui lui est adressé (et qui s’intitule « Refus de séjour et Obligation de Quitter le Territoire Français ») que ses documents sont considérés comme non conformes et que, par conséquent, on ne peut pas le régulariser puisqu’on ne peut pas attester de l’identité avec laquelle il s’est déclaré. 

« Mais ce sont mes papiers ! », s’exclament régulièrement les jeunes. Ils sont pour beaucoup dans l’incompréhension, exprimant de la colère, de l’injustice, du désarroi. 

L’administration s’attaque à l’identité, rien de mieux pour bousculer un adolescent d’ailleurs en construction seul ici. Quand on sait qu’« en clinique, l’identité renvoie aussi bien à la notion de sa genèse que de ses troubles dans une perspective de compréhension du monde, de soi et de l’autre », on peut assez facilement imaginer les ravages que ce type de vécu peut produire. Les démarches sont ensuite interminables pour que le jeune puisse espérer obtenir gain de cause contre la préfecture. Des mois voire des années d’attente, de doute, de remise en question, de projets avortés et de bataille juridique sont ensuite nécessaires avant qu’il puisse espérer être régularisé. Moi, éducatrice spécialisée, impuissante face à cette machine de guerre, je m’attelle à limiter les dégâts auprès de ces jeunes. Je me bats chaque jour pour qu’ils n’oublient pas, malgré tout, d’où ils viennent et qui ils sont, quelles qu’elles soient les offensives qu’ils subissent. Vous y voyez là un champ lexical particulier ? Je vous assure que c’est ce que nous vivons au quotidien, une guerre contre l’administration française !

Aïssa

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