Favoriser les langues maternelles à l’école
Dans le cadre du DU Psychiatrie et compétences transculturelles, j’ai suivi un séminaire passionnant sur le bilinguisme qui a ravivé des interrogations que j’avais depuis longtemps. En tant qu’enseignante en lycée professionnel, j’ai constaté que beaucoup de mes élèves issus de l’immigration (particulièrement du Maghreb ou de l’Afrique de l’Ouest) et dont les parents parlent une autre langue que le français à la maison, avaient souvent tendance à dévaloriser cette langue. Ils ne reconnaissent pas ce savoir comme une compétence importante.
Le peulh, le bambara, l’arabe ou le soninké leur apparaissent comme des langues du « dedans » et ne semblent pas à leurs yeux avoir le même statut que la langue française. Avoir intériorisé cette hiérarchisation des langues fait que nombre d’entre eux comprennent globalement la langue de leurs parents mais sont incapables de la parler correctement : ils répondent systématiquement en français. J’ai même parfois ressenti de leur part une forme de gêne à l’évocation de cette langue, ce qui m’interroge beaucoup sur le développement de leur estime d’eux-mêmes, élément pourtant majeur dans la réussite scolaire.
Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, s’est montré défavorable à l’enseignement immersif des langues régionales car selon ses dires, « il ne serait pas si bon que cela, a fortiori si l’enfant est mis dans la situation d’ignorer la langue française”.
Nombreux sont encore les enseignants qui encouragent les parents allophones à parler français à la maison pensant que cela favoriserait une meilleure maîtrise de la langue française. Or, Jim Cummins (1979, 2000) a montré dans ses travaux « qu’un seuil minimal de compétence dans la langue maternelle doit être atteint pour éviter que le bilinguisme ne génère une forme de handicap cognitif ». Les recherches transculturelles montrent aussi que le fait de ne pas suffisamment maîtriser sa langue maternelle serait nuisible à l’apprentissage du français. En effet, maîtriser un large vocabulaire dans sa langue maternelle permet à l’enfant d’agrandir son champ de représentations et ainsi de complexifier sa pensée.
Dans le même temps, depuis un certain nombre d’années maintenant, on voit fleurir partout en France des crèches et jardins d’enfants bilingues français-anglais sans que cela ne suscite la même inquiétude. L’apprentissage précoce de l’anglais serait même perçu comme une chance pour les jeunes enfants. Pourtant, le bilinguisme français-bambara, par exemple, relève du même processus cognitif.
L’association Dulala fait le pari de développer l’estime de soi en valorisant les langues maternelles. Elle tente de faire reconnaître le bilinguisme, quelle que soit la langue maternelle, comme une force et non une faiblesse. Le site de l’association propose du matériel pédagogique tel que des jeux, des livres, des boîtes à histoires ou encore des comptines plurilingues. Des formations adressées aux enseignants sont également proposées ainsi que des ateliers dans les classes.
Dans une démarche de compréhension des ressources et des difficultés des enfants évoluant dans un contexte bilingue, l’équipe de l’hôpital Avicenne a créé le premier outil d’évaluation des compétences langagières des enfants allophones accessible aux professionnels du secteur médico-social, l’Elal d’Avicenne.
En tant qu’enseignants nous devons être attentifs à cette question. Valorisons les langues maternelles pour valoriser nos jeunes…
Anissa
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