– Les mots de Anna –

Un pas vers l’altérité ? 

Je me souviens de cette douche, ou plus particulièrement de ce lavage de cheveux… Ces cheveux ? Ceux de Nour, fillette de 10 ans à l’imposante chevelure qui descend jusqu’en bas du dos. Placée dans cette structure depuis un ou deux ans, elle nous est confiée par la juge des enfants. Je suis éducatrice de jeunes enfants et ce moment représente une parenthèse dans mon quotidien professionnel en foyer de l’enfance. Une parenthèse qui devient prétexte de soin et de partage pour Nour aussi, pour qui la vie au foyer est difficile. Ce moment juste toutes les deux est l’occasion de discuter, de plaisanter… « Pshittt, frout frout, pshittttt, splash… tu m’éclabousses…!!! ». Des éclats de rire résonnent. Je m’étonne de voir comme mon travail prend sens à cet instant. La douche terminée, place à la coiffure. Je m’installe dans le couloir de l’étage sur un fauteuil, Nour devant moi. Brosse, chouchous, barrettes, on a de quoi faire… « Je veux deux tresses, pas collées hein ? Que tu fais à partir d’ici… Non plutôt d’ici ». C’est noté. Hawa, 11 ans, accueillie depuis sa tendre enfance dans la structure et Oumou, 17 ans, arrivée il y a quelque mois, nous font remarquer que les cheveux de Nour ont perdu de leur vitalité depuis son arrivée… Elles ne  manquent pas non plus de souligner que personne n’en prend suffisamment soin. Je repense à cet échange. Coiffer et m’occuper des cheveux des jeunes filles accueillies au foyer a souvent été un pur moment de bonheur féminin pour moi. Cet acte a priori banal du quotidien familial répond pourtant à un besoin profond pour ces jeunes : besoin de partager des temps privilégiés avec les adultes qui s’occupent d’elles au quotidien, nécessité de sentir que l’on prend aussi soin de leur beauté ou encore que le bien-être psychique passe également par l’état de leurs cheveux. Ces temps nous permettent aussi de leur apprendre à prendre soin d’elles, peu importe leur origine, âge, histoire ou caractéristiques physiques. Cette place complexe de caregiver vient directement interroger nos définitions intimes, professionnelles et culturelles du soin éducatif. Qu’est-ce qu’éduquer ? Qu’est-ce que prendre soin ? Comment garder un peu de légèreté tout en travaillant les aspects complexes de ces actes du quotidien ? Comment l’altérité des cheveux, la place de la différence capillaire ou des étiologies de leur état viennent s’inscrire dans nos lectures et actes au sens transculturel ? J’apprends tous les jours à coiffer et à observer ce qui se tisse dans ces moments à la fois banals et puissants de partage capillaire. La créativité des coiffures entre l’ici et l’ailleurs n’est jamais complètement acquise : comme tout processus de métissage, cela demande de continuer à apprendre pour soutenir la complexité de la construction identitaire de ces jeunes filles.. et de leurs cheveux !

Anna

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