Les enfants « endormis »

De son nom suédois l’Uppgivenhetssyndrom, le syndrome de résignation désigne un état de léthargie observé chez les enfants de demandeurs d’asile en Suède. Ce phénomène est apparu au début des années 2000, particulièrement chez des enfants issus de minorités persécutées d’Europe de l’est ou du Proche-Orient. Ces préadolescents ou adolescents sombrent petit à petit. Ils deviennent apathiques, sans vitalité puis s’endorment, sans même réagir aux stimulations. 

Ils sont alités, portent des couches et sont nourris par sonde nasogastrique. Cet état se prolonge de plusieurs mois à plusieurs années. 

Des médecins, des psychologues ou des neurologues se sont mobilisés pour essayer de comprendre cette maladie transitoire si particulière. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer ce détachement dissociatif du monde. 

Les recherches soulignent que ces jeunes, sachant lire la langue locale, sont aux premières loges pour recevoir les réponses administratives (négatives). D’autres mettent en évidence l’accumulation de traumas anciens et l’instabilité du statut dans le pays d’accueil. Ces enfants se sentiraient plus vite suédois que la Suède ne les reconnaît, subissant jour après jour, année après année, des procédures interminables. 

Ceux qui se sont réveillés, l’ont fait progressivement après l’obtention d’un statut plus pérenne en Suède. Ce serait l’atmosphère d’espoir retrouvé qui aiderait la sortie de leur état léthargique. 

Certains ont mis en doute l’authenticité des troubles, soumettant ces enfants à de nombreux tests. Bien qu’ils ne présentent pas de problème somatique avéré, ils sont tout de même insensibles à tout stimulus douloureux. Feindre cela est impossible. 

En France, nous n’observons pas précisément ce type de syndrome. Cependant, nous constatons au quotidien diverses expressions physiques des souffrances psychiques. Nous savons que le Syndrome de Stress Post Traumatique peut prendre des formes differentes, que l’on soit un homme, une femme ou un enfant, mais aussi que l’on vienne d’une origine ou une autre. Les symptomatologies sont en effet le plus souvent codées culturellement, le trauma étant une fabrique inépuisable de manifestations étiologiques traduites dans le corps pour permettre au psychisme de se défendre. 

Ces références transculturelles, nous amènent à questionner le syndrome de résignation pour mieux considérer les implications ethno-cliniques. Ces enfants endormis, expriment-ils un trauma réactivé par le temps suspendu de la demande d’asile ? Révèlent-ils par ce sommeil, l’injonction à ne prendre que, silencieusement, peu de place ? La veille apparente et l’expression criante du mal être sont-ils l’illustration de l’injonction paradoxale d’être à la fois un enfant et un demandeur d’asile modèles? 

Pour envisager être reconnus réfugiés, les demandeurs d’asile doivent être à la fois ceux qui ont le plus souffert et ceux qui savent le mieux expliquer leur traumas. De quoi plonger dans l’Uppgivenhetssyndrom le plus résilient d’entre nous.

Delphine et May Line

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