Des petits riens

La page blanche… sentiment étrange et désagréable de ne rien avoir à dire, ne rien avoir fait d’extraordinaire qui mériterait d’être raconté. Je vais à la rencontre de personnes venues d’ailleurs, en situation de précarité et de souffrance psychique, voilà l’intitulé officiel de mon job depuis peu de temps. Nous nous rencontrons, je prends le temps d’écouter pour tenter de comprendre ce que l’autre vit et je parcours un bout de chemin avec.

J’ai souvent été traversée de multitudes de questions sur la pertinence et ma légitimité autour de ces accompagnements. Je ne suis pas psychiatre, je ne suis pas psychologue, je ne propose pas de psychothérapie ni de traitement médicamenteux : je suis infirmière. Je parcours un bout de chemin avec eux, dans un moment où la vie leur est difficile. Je me pose souvent la question de ce que j’apporte à ces personnes, si ce n’est une oreille attentive, un regard bienveillant, humain. Je n’attends rien, pas de vérité, de preuve, c’est peut-être là un peu de répit que je leur apporte. Je ne suis pas une amie, je ne suis pas une voisine, je ne suis pas un membre de la famille. Et pourtant, j’ai parfois l’impression d’être un peu tout cela à la fois.

J’ai rencontré une femme venue d’Albanie il y a quelques mois. Femme « pilier » pour sa famille dans un moment où son mari était en grande difficulté psychique et où leurs demandes d’asiles étaient déboutées. Nous nous sommes vues pendant quelques mois, nous avons discuté, de tout et de rien. Je l’ai écoutée parler des choses qui font mal, le risque d’expulsion, les souvenirs des nuits à la rue et la peur que cela revienne. Elle a partagé ses inquiétudes au sujet de l’éducation des enfants, son couple, la famille restée au pays. Nos rencontres étaient aussi faites de partages des recettes, d’idées de sorties lors des confinements, d’échanges de chocolats à Noël. Elle m’a parlé de son pays, son amour de la mer, des baignades en été à la sortie du travail.

 Je me suis souvent posé la question de savoir si nos entretiens lui apportaient vraiment de l’aide psychique. Et puis, au fil du temps, les inquiétudes et les symptômes physiques dont elle souffrait se sont estompés pour laisser place aux liens sociaux, amicaux qu’elle s’autorisait à tisser davantage. Nous nous sommes alors entendues pour espacer nos rencontres de quelques mois. Quelques semaines plus tard, j’ai reçu un SMS de sa part pour me remercier de ce que j’avais fait pour elle et me rassurer qu’aujourd’hui la présence de ses amies l’aidait à « soulager son stress ».

Cette expérience a finalement pu mettre en lumière que ce sont ce que j’appelle ces « petits riens » qui font de ces rencontres des espaces thérapeutiques. A l’heure où tout va très vite et où on quantifie et qualifie nos actes, ces soins manquent d’être valorisés, hors dans ce cas précis, et dans bien d’autres que j’aurais pu citer, ces « petits riens » sont la base du soin.

May-Line

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